Évidemment Yanis Varoufakis a eu tendance à se donner le beau rôle et à effacer toutes les ombres dans son portrait de gentil face aux méchants de la troïka. On peut difficilement lui reprocher cet innocent plaisir. Je comprends que son assurance et sa plastique de statue grecque puissent déranger. Il reste donc à l’écouter. Ce qu’il a dit vendredi soir ne varie pas de ce qu’on entend de lui depuis des années : une parole dont l’intelligence n’oublie pas l’humanité, autrement dit la voix de la gauche.

Pour l’anecdote Mediapart a eu la bonté d’âme d’inviter au débat quelqu’un qui s’était complètement trompé sur l’action de Yanis Varoufakis lors de son arrivée au ministère des finances. Je ne sais plus quand, je ne sais plus où, sans doute dans un commentaire, j’ai eu l’occasion d’écrire ce que je pensais de l’inanité du billet posté à ce moment par Michel Feher. Dans un élan de délire intellectualiste auto-célébrant comme je n’ose plus en écrire depuis vingt ans il laissait entendre, arguant de la réputation d’intellectuel et de théoricien des jeux de Yanis Varoufakis,  que la fulgurance de son discours allait paralyser par une étrange magie les bigots de l’austérité et leur faire rendre gorge. On sait ce qu’il advint. Yanis Varoufakis, très justement, tint un discours d’économiste pragmatique. La réalité des rapports de force fit le reste. La subtile (non)réponse de Yanis Varoufakis à l’intervention de Michel Feher a permis de ramener la discussion vers les sujets sérieux.

Sur quelques points la discussion a pu interroger nos benoites certitudes de bien-pensants progressistes, signe à mon avis de la pertinence et la vivacité de l’esprit de Yanis Varoufakis qui n’hésite pas à bousculer nos idées reçues.

Sur l’Europe.
Certains s’étonnent qu’après avoir été en première ligne face au mur de l’Europe de l’austérité il reste politiquement « européen ». La capitulation du gouvernement grec en Juillet signe notre défaite, celle de toute la gauche européenne, incapable de reconstruire les éléments d’un rapport de force susceptible de faire hésiter les barbares de l’Eurogroupe et de la troïka. Elle prépare la suite de l’offensive qui viendra bien plus vite que nous ne le pensons. Offensive qui ciblera la France et tous les systèmes de solidarité européens. Qu’elle ridiculise une fois de plus Hollande et ses affidés ne me soucie guère. Que nous ne soyons pas en mesure de nous y opposer de manière significative me préoccupe bien plus. La riposte doit donc impérativement présenter une dimension européenne. Que Yanis Varoufakis cible la manière la plus pertinente ou pas importe peu. Il désigne le terrain pertinent des affrontements à venir. Accompagner et compléter cette initiative par l’européanisation par exemple d’Alternatiba ou d’autres mouvements sociaux donnera du sens à l’ensemble. Dans un tel cadre il devient possible de poser la question des alternatives politiques dont aucune, ni Podemos, ni Syriza, ni Le Labour de Corbyn, ni le Front de Gauche français, n’existe aujourd’hui. Cette reconstruction d’une gauche à la nécessaire échelle européenne permettra aussi, condition indispensable, de poser sérieusement la question des désirs d’indépendance comme celles de l’Écosse ou de la Catalogne. Un point de la discussion mérite approfondissement. Il est communément admis par beaucoup que l’erreur principale de construction de l’UE a consisté à mettre la charrue de l’union monétaire avant les bœufs de l’union politique. Outre que cette erreur a sans doute été consciente au moins pour certains il faut être conscient que l’inverse n’aurait pas donné de meilleurs résultats étant donné la domination des idées austéritaires dans l’Union et le fonctionnement adémocratique de l’ensemble. De même penser que le retour aux monnaies nationales pourrait offrir une solution me semble dangereusement illusoire. En plus des difficultés techniques, politiques et économiques de réalisation de cette option la maitrise retrouvée de la politique monétaire ne donnerait que des marges de manœuvre temporaires. Le contexte économique de la compétition globale ramènerait à une situation proche de celle d’ aujourd’hui. Les nouvelles monnaies numériques dont parle Yanis Varoufakis, qui ne sont pas les monnaies électroniques souhaitées par nos banquiers, peuvent dans une nouvelle Europe jouer un rôle intéressant.

Sur Macron.
La citation de Macron n’a pas manqué de m’interpeler car faisant écho à mes propres réflexions. Réglons d’abord la cas du triste sire. Que Macron se dise de gauche ne change rien à la vérité de son action. Il appartient à la pire catégorie de droite, celle qui réfléchit. Comment expliquer alors l’appréciation positive de Yanis Varoufakis sur quelques avis de notre ministre ? Vouez aux gémonies les adversaires ne sert qu’à masquer notre propre impuissance et notre désarroi. Prenons en vrac quelques thèmes macroniens : code du travail, statut des fonctionnaires, professions réglementées. Quand le code du travail devient une protection formelle qui devrait tenir lieu d’action collective solidaire, quand le statut des fonctionnaires cesse d’être un acquit des luttes et de la Résistance, protège des hauts salaires et devient incompréhensible à la majorité des salariés, quand les professions réglementées, fourre-tout incroyablement divers, tournent aux petites féodalités hors du droit commun les questions sont légitimes. Les réponses macroniennes : nivellement systématique par le bas, obstacles à ce qui reste de possibilité d’action syndicale, libération des capacités d’action la finance, entre autres, relèvent toutes de la même conviction. La finance mène les opérations et sa libération représente la seule piste d’avenir. En quelque sorte, pour paraphraser une vieille citation, Macron apporte de mauvaises réponses à de bonnes questions. J’entends dans ce que dit Yanis Varoufakis l’écho des bonnes questions et assurément pas l’approbation des mauvaises réponses.