Qui l’eût cru il y a seulement 2 semaines? Il a fallu moins de 10 jours à Donald Trump pour revenir en tête des sondages de la présidentielle et redevenir quasi crédible. Le chemin est encore long d’ici au jour de l’élection mais la fin virtuelle des primaires Républicaines avec la suspension, et non le retrait définitif, des campagnes de Cruz et Kasich a permis à leur camp de passer à la phase suivante et de se mettre en posture de campagne pour l’élection générale. Ceci n’exclut pas la possibilité de surprises, entre autres à la convention, mais plus le temps passe et plus s’alignent les ralliements à Trump plus cela devient improbable.
La publication, obligatoire contrairement à celle des feuilles d’impôts, de la situation financière de Trump n’a pas apporté d’éléments importants. Des esprits chicaneurs ont bien relevé quelques participations dans des sociétés qu’il voue aux gémonies pour avoir participé à des délocalisations d’emplois. Il n’y a pas de quoi fouetter un chat tant les montants en jeu sont ridicules par rapports aux revenus de l’individu. Connaître les montants effectifs de ses impôts et de ses participations humanitaires en dirait beaucoup plus et serait politiquement plus pertinent.
La course éhontée des ralliements/reniements de cadres républicains continue, même John McCain, un des rares de la bande que l’on peut estimer être un modéré réfléchi, y est allé de son couplet de soutien au candidat désigné. Il reste à assurer un processus formel de désignation à la Convention pour éviter à ces braves gens d’avoir à se déjuger. Trump devrait boucler le nombre de délégués nécessaires lors de la primaire de Californie. Il ne fait pas de doute que des escarmouches d’arrière-garde vont encore se produire : retournements de délégués, batailles de procédures, etc… Quelques dignitaires enferrés sous la bannière #NeverTrump auront un peu de mal à se dégager pour venir à la soupe. On peut faire confiance à l’imagination politicienne pour venir à bout de ces détails. Les plus jeunes prendront date comme recours après l’échec attendu du trublion laissant présager une présidence Trump intéressante.
Le chemin des primaires dégagé Trump peut déployer sa stratégie personnelle selon la ligne déjà mise en pratique : occuper le maximum de terrain avec le maximum de bruit, le contenu étant secondaire. Ainsi il a été le premier homme politique à intervenir sur le crash de l’avion d’Egypt Air (MS804). Avant tout indice probant il a tenu à hurler contre le nouvel attentat et à sous-entendre que lui président cela ne se serait pas produit. Sans doute aurait-il terrorisé les terroristes. Au fond c’est sans doute à Charles Pasqua que Trump ressemble le plus. Trump a même rencontré le vénérable Kissinger. Il faut dire pour être honnête qu’Hillary Clinton l’y avait précédé. S’il s’avère, comme probable, que le crash du MS804 est le résultat d’un attentat le militarisme et les postures va-t-en-guerre vont de nouveau envahir la campagne. Grandeur de la démocratie: l’État Islamique aura fait la présidentielle des E.U.A.
L’habileté de Trump ne lui a pas permis d’éviter un écueil inattendu. Il a publié sa liste (« shortlist ») de possibles juges pour la Cour Suprême. Ils sont tous blancs et constitue comme le dit « The New Republic » un rêve judiciaire de réactionnaire anti-féministe (j’ai volontairement traduit « conservative » par réactionnaire). Encore une fois il innove. Aucun candidat à ce point du débat ne l’avait encore fait. Parmi les nommés se trouve Don Willet qui s’est abondamment payé la tête de Trump sur son compte Twitter.
En passant il promet de renégocier l’accord de la COP21, position irréaliste mais bien vue du cœur de son électorat actuel. Cela pourrait lui poser des problèmes dans une campagne où il devra élargir sa base. Il peut jouer sur la complexité d’un système électoral où la victoire se joue dans les états, un par un, et non à la majorité globale. Par exemple considérer comme perdus les états à forte sensibilité écologique, par exemple la Californie, peut amener à renforcer les argumentaires susceptibles de faire pencher la balance dans des états critiques, du centre-nord industriel on minier par exemple.
La priorité reste pour lui de boucher les trous du soutien électoral qui risque de lui faire défaut. Il est mal considéré par 87 % des hispaniques, 91 % des noirs et 70 % des femmes. Ces dernières se ont eu l’honneur de la première offensive dont je ne saurais dire si elle est de charme. A chaque occasion il rappelle les vieilles accusations contre Bill Clinton qu’il insiste pour qualifier de viol avec l’active complicité des présentateurs de droite comme Sean Hannity. Il peut même allier l’offensive « féministe » avec l’offensive pro-hispanique en faisant parler pour sa défense des femmes latinos. La marge de manœuvre offerte par le poste de vice-président est très réduite car Trump aura besoin d’alliés dans le Parti Républicain. Le ticket est une des rares possibilités de pression sur leur candidat qui leur reste en main pour monnayer un soutien actif. Comme je l’ai déjà écrit les pressions pour que Newt Gingrich soit choisi semblent plutôt fortes.
Une star est née (?)
L’épisode le plus spectaculaire de l’offensive envers les femmes car le plus médiatique et le plus volontairement visible a mis à contribution la nouvelle star des médias réactionnaires : Megyn Kelly. Présentatrice vedette de Fox News elle avait été consacrée un peu vite icône anti-Trump par les progressistes de pacotille après le débat entre candidats républicains à la candidature le 6 Août 2015. Même la droite française, ravie de trouver une anti-Trump dans les rangs de Fox y était allé de son couplet. Kelly avait mis en doute la capacité d’un homme du genre Trump à faire un président. Il avait répondu par l’insulte peu ragoutante à répétition. Jamais à court d’un mouvement spectaculaire Trump a donc fait mine d’aller à Canossa et a rencontré Kelly, devant les caméras évidemment, pour fumer le calumet de la paix. Ceci nous a valu l’édifiant spectacle du Donald jouant au gros nounours repentant devant une Kelly figée dans son hitchcokienne blondeur. Tout cela en évitant soigneusement de parler politique. Du grand art et sans doute la relance de la carrière de la dame qui va maintenant viser à rejoindre la stratosphère des animateurs quelque part entre Opfrah, Ellen Degeneres et Stephen Colbert. Gageons que Fox News va lui sembler un peu étriquée maintenant. Peut-être devra-t-elle attendre que l’élection soit passée pour bouger. A moins que…
Que sont devenus les électeurs indépendants ?
La situation est tellement inattendue que personne ne peut affirmer de certitudes établies. Par exemple le « New-York Times » s’interrogeait récemment sur l’état réel des intentions de votes, sur la sincérité des sondés qui seraient en partie des « trumpistes » honteux. Ajoutons que la sensibilité épidermique qui existe dans tout le monde occidental aux événements du Proche-Orient et aux attentats rend les opinions publiques très volatiles. La première caractéristique de cette campagne va rester son imprévisibilité sauf si un événement particulier discrédite un candidat en cours de route. Les alternatives sous la forme d’une candidature indépendante devront se déclarer très rapidement en raison des délais administratifs imposés par certains états. Une partie de l’appareil Républicain a envisagé un temps cette possibilité avec une candidature Romney.
Nous aurons sans doute besoin de temps et de recul pour comprendre les changements politiques, sociologiques, économiques et sociaux en jeu dans la période. Un début de piste intéressant a été indiqué par « The Nation« . Citant des études dont les méthodes me semblent correctes cet article développe l’idée que la conception même de l’implication politique a changée dans les dernières décennies. Je me sens d’autant plus concerné que la période évoquée correspond à celle de ma propre vie politique active (en gros depuis le milieu des années 1960). En bref alors que l’adhésion à un projet politique était un secteur parmi les autres de la vie sociale de chacun elle est devenue une partie intégrante de la personnalité. La partie de la population des États-Unis d’Amérique qui déclare une affiliation politique est assez stable. D’après le « Pew Research Center » elle se répartit en : Indépendant=39 %, Démocrates=32% et Républicains=23%. Ces chiffres ne changent pas énormément dans le temps. Par contre la conviction apportée par chacun semble bouger, en particulier chez ceux qui se déclarent comme Indépendants. Classiquement Indépendant signifiait susceptible de changer à chaque élection, pas vraiment fixé, mobile. D’après les études récentes ces indépendants seraient en fait de plus en plus des Démocrates ou des Républicains déguisés, moins susceptibles de changer de camp que des catalogués Républicains ou Démocrates de faible conviction. La distinction n’est pas qu’académique. La compréhension classique valide l’idée bien connue que les élections se gagnent au centre où il existerait un marais indécis à faire basculer d’un côté à l’autre en plus ou moins grande proportion. Ce petit pourcentage d’électeurs mobiles, parfois insignifiant, faisant les majorités. On peut d’ailleurs remarquer plus ou moins cyniquement que presque tous les systèmes électoraux des pays dits « démocratiques » sont peu ou prou basés sur cette hypothèse avec des méthodes diverses pour renforcer les majorités : notre système majoritaire à deux tours ou les systèmes à majorité relative à un tour (« First past the pole ») du monde anglophone. Ainsi Donald Trump peut clamer avoir ramener au Parti Républicain « des millions d’électeurs » avec les chiffres de participation aux primaires pour le prouver. Mais si ce basculement d’une frange des « indépendants » s’avère une illusion tout le raisonnement et peut-être le système lui-même, est faussé. les indices concordent d’ailleurs pour penser que Trump a d’abord mobilisé des électeurs Républicains, souvent déclarés « Independant ». La situation particulière marquée par la colère contre les délocalisation, contre un président pensé comme noir, non-américain et même musulman donc illégitime, hostile et prédateur a accentué le mouvement. Trump était le candidat de primaire rêvé. Il mobilise en première intention des électeurs plus fermes dans leurs convictions. La campagne réelle inverse le mouvement : il faut maintenant rassembler. Et rassembler sur un projet est plus difficile mais plus efficace que rassembler contre ou rassembler pour des principes plus ou moins abstraits. Si un enjeu se présente clairement pour la campagne des Démocrates, c’est celui-là : fabriquer un projet rassembleur.
Bernie et Hillary, cessez les jeux infantiles.
A première vue la campagne Démocrate, enlisée dans les bagarres de procédures, de recompte de voix au Kentucky, de revendications de principe. Nous n’avons pas de leçons à donner à ceux qui sont sur le terrain. Il me semble clair que la question posée aujourd’hui aux progressistes des États-Unis d’Amérique est de savoir si l’objectif est de battre Trump ou de satisfaire des egos. Je comprends qu’il soit éminemment désagréable de passer par un accord avec une Hillary Clinton peu engageante et un appareil Démocrate soucieux de ses intérêts bureaucratiques et otage de la finance. La campagne de « l »armée de Bernie » restera dans les annales comme la plus impressionnante campagne jamais faite par la gauche du pays, et qui plus est sous son propre étendard. Le plus important n’est pas là. Lors de la Convention Démocrate et ensuite Clinton aura besoin des voix et des forces militantes de l’ « armée de Bernie » (même sans Bernie). La gauche se trouve donc dans une position de force, peut-être sans précédent, pour faire avancer ses options. Sortir de la Convention avec des éléments politique dans la plate-forme de la campagne du candidat et au-délà des élections générales et préparer les conditions du maintien en action du mouvement initialisé sont des objectifs raisonnables et nécessaires.
Hillary Clinton a donné deux signes des questions qu’elle se pose : la hiérarchie des thèmes de campagne a évoluée avec la mise en avant d’une extension de Medicare, la question de la vice-présidence pour Elizabeth Warren serait revenue en force. L’extension de Medicare n’est pas une nouveauté car elle faisait déjà partie des projets de la première présidence Clinton. Le signe envers les soutiens de Sanders esr cependant manifeste comme celui d’une validation de principe de l’idée de protection sociale généralisée (« single-payer healtcare »). J’ai déjà écrit pourquoi l’hypothèse Warren me semble improbable et tactiquement dangereuse. Comprise comme un signe envers la base elle prend du sens.
Un dernier mot pour faire crier.
La perspective de voir Trump à la Maison Blanche nous effraie tous. Mais à la réflexion un Trump qui affirme ne pas vouloir toucher au Planning Familial (« Planned Parenhood« , Cecile Richards la présidente est une de mes héroïnes)), à Medicare, Medicare et au système existant de retraites (« Social Security« , reste lointain du New Deal) serait-il plus dangereux qu’une présidence Ted Cruz, Marco Rubio ou même John Kasich ?
Cela aurait au moins l’avantage de détruire pour de bon le Parti Républicain qui n’y résisterait pas. Quant à l’image du pays …
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