Ces dernières semaines les contributions ont fleuri sur le thème « que faire de la Nupes ? ». Toutes expriment le souhait que l’aventure se poursuive et la crainte que nous ne gaspillions cette embellie ressentie le temps d’un printemps de campagne, que l’espoir encore une fois ne retombe avec la grisaille de l’automne dans les ornières boueuses de l’Histoire.

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Avant de venir aux considérations politiques je sens nécessaire de simplement raconter l’histoire vécue de ce printemps.

J’ai soixante-quatorze ans. Je suis entré en militance active au sein d’une organisation d’extrême-gauche trotskyste à l’automne de l’année 1967. J’avais vingt ans.

Au fil de ces quelques cinquante-cinq années les aventures syndicales, politiques et humanitaires m’ont apporté parmi les plus belles de mes émotions et m’ont aussi laissé quelques cicatrices. La politique fait saigner, souvent, à chacun de ceux qui s’y frottent, à nos proches et souvent à ceux que nous entraînons en des combats parfois douteux.

Je m’étais laissé allé depuis des années à la paresse, la dormance militante quand en 2015 l’agression néolibérale contre le peuple grec m’a reconduit sur le pavé manifestant. Qu’elle était triste cette saison quand je partais seul rejoindre mes amis de circonstance avec le sentiment de crier dans le désert. Le relais pris par François Hollande avec les lois « travail » n’a pas été plus plaisant quand nous défilions entre des rangs de robots en armes et sous l’omniprésente menace médiatique des « casseurs » prétextes à toutes les violences. Paradoxalement le redoublement des attaques avec la réforme des retraites d’Emmanuel Macron a changé la donne. Nous étions plus nombreux, plus déterminés, plus unis peut-être, enfin souriants d’être ensemble.

Et ce printemps de 2022 me tombe sur le dos ce que je n’attendais plus. Alors que j’avais exprimé ma volonté de participer à une campagne législative de rassemblement sous mes yeux se produit l’impensable, l’union d’à peu près tout ce que le pays compte de forces de progrès dans un cadre ouvert sous l’improbable nom de NUPES (que chacun prononcera à sa manière).

Motivés par l’idée de l’union nous nous sommes retrouvés dans notre étonnante diversité sur le terrain, oubliant la fatigue, devant les quais des gares, sur les parkings de centres commerciaux, sur les marchés ou devant les portes des appartements. La réponse des gens, peut-être facilitée par la sortie de deux ans de confinements, nous encourageait à continuer. Combien ai-je appris en quelques semaines ? La plus grande leçon : écouter ces gens qui ont besoin de dire leur situation (et nous de les écouter).

Nous n’étions pas bien nombreux mais nous étions heureux ensemble.

Cette chaleur a sans aucun doute été utile quand nos candidats ont perdus l’élection (dans ma circonscription) et nous a fait réaliser que nous avions quand même gagné quelque chose d’inédit.

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La centralité de la question écologique.

Pour nous unir ne perdons pas de vue la question climatique qui nous donne l’arme pour combattre le plus grand risque de fracture entre nous. Risque qui prend sa source dans l’attachement idéaliste, plus affectif que politique, d’une partie des militants, en particulier écologistes à l’Union Européenne mythiquement vécue comme la fusion des peuples de l’Ouest du continent eurasiatique.

L’effort pour contrer les effets meurtriers du désordre climatique est devenu impératif aux yeux de tous avec les chaleurs, sécheresses, intempéries et inondations récentes.

La démonstration du lien entre les activités humaines industrielles, touristiques, etc et le désordre climatique se confirme de jour en jour mais la racine du mal n’est pas circonstancielle. Le premier article de la livraison de Juillet-Août 2022 de la Monthly Review (magazine de gauche fondé aux E.U.A. en 1949) a pour titre « Écosocialisme ou Barbarie », comme une mise à jour du vieux slogan « Socialisme ou Barbarie ». Il s’inscrit dans un travail persistant des auteurs de la revue autour de l’idée de « capital-nature », la place de la nature dans la pensée économique. L’objectif n’est pas de fantasmer Karl Marx en père de tous les écologistes mais de retracer théoriquement l’incompatibilité de l’accumulation capitaliste, forcément effrénée, avec un monde aux ressources finies.

Le combat écologiste et le combat contre les forces de l’argent ne sont pas cohérents et compatibles. Ils constituent deux faces d’une même nécessité pour la survie et le bien-être de nous tous.

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Sur l’organisation.

Après un été de plomb nous nous retrouvons avec la question : et maintenant ? Nous la poser sans avoir de réponse toute faite ne peut que nous réjouir. Il nous appartient d’inventer la suite.

Au cœur du débat, personne n’est dupe, gît la relation entre La France Insoumise et le mouvement sans précédent, bigarré qui s’est déployé sous la bannière de la Nouvelle Union Populaire Économique et Sociale. La bizarrerie même de ce nom de circonstance augure plutôt bien du futur. Elle montre qu’il ne s’agit pas d’un de ces projets marketing auxquels la politique récente nous a accoutumé.

Le moment de parler d’organisation formelle, de structuration définitive est-il venu ? Passés la phase activiste de la campagne électorale législative et le recul de l’été ne serait-ce pas plutôt aujourd’hui le temps de la réflexion, des expériences, le temps de faire fleurir nos spécificités locales ?

La séquence et la géographie de la campagne nous ont été imposées par l’institution électorale et nous ont contraint à l’action immédiate. Nous ne savons pas comment les calendriers vont se déployer (dissolution ? mouvements sociaux,…). Cet automne pourrait bien être la bonne période pour faire fumer nos cerveaux.

Clémentine Autain a avancé avec pertinence quelques sujets sur la base organisationnelle (les Groupes d’Action) et géographique (les circonscriptions législatives).

Groupes d’Action.

Les Groupes d’Action, si nous les entendons bien comme des G.A. Union Populaire et non LFI s’imposent en effet comme la base naturelle, celle qui existe, où les gens se connaissent et ont pu commencer à se faire connaître de la population. Leur diversité, d’opinions politiques, de tailles, leur structure parfois hiérarchisée (du local au plus large : la circonscription) en font des organes opérant, simples et capables d’attirer des personnes qui se sentent déjà motivées par une forme ou une autre d’engagement sans entrer dans une logique partisane. La question de leurs moyens (finances et matériel de propagande) cristallise sans aucun doute la discussion sur l’organisation globale, le type d’affiliation à des structures centrales et les structures de rattachement. Nous semblons tous d’accord sur l’objectif de faire vivre la NUPES. Nous avons donc à poursuivre le débat sur son organisation nationale et les rapports avec les partis politiques impliqués (dont LFI). Pouvons-nous sans risque de perdre tout notre dynamisme faire l’économie d’un débat sur ces sujets ?

Circonscriptions.

Calquer la géographie de l’organisation des groupes sur les circonscriptions est-il pertinent ? Les circonscriptions électorales législatives sont par nature dans une France de plus en plus péri-urbaine des réalités artificielles, politiciennes toujours provisoires. Elles ne reflètent que partiellement la réalité sociale, économique, culturelle des territoires. Elles présentent des trous (telles communes excluent d’une zone par ailleurs fonctionnellement unitaire), des excroissances (à l’inverse des communes rattachées pour faire masse électorale), des hétérogénéités (économiques, d’habitat, …) et des externalités (des flux économiques ou culturels qui les traversent ou les dépassent). Si la circonscription est un périmètre d’action coordonnée obligatoire lors de l’élection elle est en général trop étendue (en particulier en zones rurales) et trop diverse pour fournir le cadre naturel de militantisme quotidien (hors zones urbaines concentrées). Cette double contrainte de l’efficacité électorale (et administrative entre deux élections) et de l’efficacité militante au jour le jour devrait nous contraindre à continuer à fonctionner à deux niveaux. Les Groupes d’Action demeurent les noyaux de base, capable de tisser des liens horizontaux avec leurs voisins en cas de besoin hors contexte de circonscription mais aussi coordonnés au sein de celle-ci. Mon secteur de Seine et Marne semble un exemple typique. La partie orientale, plus rurale, présente des motifs de mobilisation en commun avec les territoires plus à l’est (artificialisation des sols par exemple) complètement absents de l’ouest.

Et au-delà du local ?.

Si l’organisation locale ne semble pas présenter de difficultés insurmontables la structuration verticale du mouvement va se révéler bien plus délicate.

A partir d’un niveau de base fort qui assure le lien avec la population tout est à construire pour répondre à des besoins contradictoires au moins en apparence. La bonne vieille opposition de la verticalité ascendante et descendante. Et nous avons besoin des deux.

Le paradoxe apparent de notre affaire consiste à avoir fait fleurir l’idée que tout doit être reconstruit et que cette idée vienne « d’en-haut » (Mélenchon).

Comment articuler les trois étages de notre construction ? Ces éléments existent et peu ou prou sont incontournables.

-Au « sommet » les parlementaires (et les partis politiques).

-Intermédiaire : le « Parlement de la Nupes»,

-En bas : les groupes locaux tels qu’ils sont dans leur diversité.

Je ne suis ni magicien ni omniscient. Je ne connais pas la bonne formule mais je suis conscient de quelques besoins. Nous devons tous mettre en commun nos expériences et nos suggestions sans perdre la richesse que constituent nos différences liées à nos histoires et nos territoires. Par exemple nous avons entrepris localement après le second tour des législatives un début d’étude statistique et sociologique des votes et de l’évolution entre les deux passes de l’élection. Nul doute que nous ne sommes pas les seuls et que la collecte nationale de tous ces travaux nous apprendra beaucoup. Voici un exemple de ce que l’étage « Parlement de la Nupes » a vocation à mener sans préjudice des appartenances partisanes. Cette structure intermédiaire ne peut que rester nécessairement floue pour jouer son rôle d’intermédiaire entre le mouvement et les « corps constitués » que sont les parlementaires (politiques institutionnalisés) et les partis. Activer des structures temporaires thématiques comme une commission sur l’étude des résultats électoraux peut être un mode de fonctionnement.

Clémentine Autain a justement évoqué la question des moyens matériels des groupes locaux et de la défiscalisation de leur financement. L’argent restant le nerf de la guerre trouver une solution satisfaisante qui n’induise pas une sujétion insupportable des groupes locaux risque de ne pas être aisé. Très concrètement la question des thèmes et des matériels nationaux (tracts, affiches, etc.) de campagne implique que l’instance émettrice soit bien Nupes et non-partisane. Encore un sujet à débattre et à expérimenter.

Quand Cédric Durand et Razmig Keucheyan insistent sur le rôle de la Nupes de faire entrer le mouvement social au Parlement ils mettent en avant également le rôle de passeur du Parlement de la Nupes sans en approfondir la description des moyens. Nous sommes incapables de le faire actuellement car figer des solutions revient à revenir à la vieille conception de la politique, celle des gens qui savent tout, qui ont lu la solution dans leurs grimoires, souvent écrits il y a un siècle. Aussi inconfortable qu’elle soit l’image de la bicyclette s’impose. On trouve l’équilibre parce que l’on avance…Mais le risque de la chute est toujours présent.

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Le débat sur l’éducation.

Plusieurs contributions insistent sur « l’école de la Nupes », « l’Education Populaire », ou une « école de formation du parlement ». Sans pointer vers la même solution elles dévoilent une préoccupation commune : amplifier le mouvement créé ce printemps par l’approfondissement de sa propre compréhension de la situation et son écoute de la population et répandre ces idées.

J’y vois au moins deux dimensions.

La première est l’éducation au sein de nos groupes. Dans notre diversité se croisent des gens qui ont beaucoup à s’apprendre. Les livres (édités par Attac, par Fakir, d’autres, peut-être même les vieilles brochures de ma jeunesse) qui prennent la poussière sur mes étagères et s’ennuient ne demandent qu’à circuler et à être discutés. Et cela va au-delà de contenus strictement politiques. Avant de faire redescendre la bonne parole échanger horizontalement et nous armer entre nous.

Cette approche n’empêche pas que l’enrichissement de nos savoirs et de nos pratiques à partir du contenu du programme initial (Avenir en Commun), des débats parlementaires et des contenus élaborés à partir du travail du Parlement de la Nupes soit nécessaire.

Nous avons appris pratiquement lors de la campagne (moi en tout cas) combien écouter les gens est important. Mais la véritable dimension d’Éducation Populaire existe indépendamment de nous comme le rappelle ce billet de Marcuss. D’autres avaient déjà tenté ce genre de démarche comme le groupe Émancipation Collective avant la pandémie. Peu importe que des compréhensions manifestement opposées de l’Éducation Populaire s’expriment elle reste un outil nécessaire pour « construire le nous » populaire qui seul peut nous conduire à une victoire durable. Cet effort nous oblige à sortir de l’entre-soi militant politicien et à parler à d’autres forces, d’autres mouvements souvent non explicitement politiques. Cela ne peut en général se faire que par des actions ponctuelles, locales.

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Dépasser nos limites.

Ce dépassement de notre cercle initial, naturel, d’activité ne peut pas se limiter à une perspective éducative.

Les autres sont là tout autour de nous. Les maires macronistes ou autres, les divers « leaders d’opinion » traditionnels qui tous les jours parlent à la jeunesse, aux anciens, à toute la population avec des moyens bien supérieurs aux nôtres. Naturellement ils ne peuvent que répandre l’idéologie dominnante.

Pour espérer dépasser le plafond auquel nous nous sommes heurtés ce printemps il est indispensable de nous faire connaître et reconnaître socialement, pas uniquement comme des militants actifs et plus ou moins enragés. Nous investir dans des activités diverses, associatives sans doute, qui ont un sens dans le cadre global de notre combat (écologique par exemple) devient d’autant plus utile que nous savons que le temps nous est compté et que nous ne sommes pas maîtres des horloges (épée de Damoclès de la dissolution).

A chacun de faire ses choix et allons-y.

Je me fais une petite violence en citant une des plus belles chansons de tous les temps.

« … We shall overcome…Some day… ».

Traduction brutale : « … à la fin c’est nous qu’on gagne… » en plus poétique.

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Ce que j’ai lu ou écouté avant d’écrire.

Consolider la NUPES

https://blogs.mediapart.fr/clementine-autain/blog/120722/consolider-la-nupes

http://www.regards.fr/la-midinale/article/clementine-autain-le-gouvernement-c-est-le-cercle-de-la-deraison

http://www.regards.fr/tribunes/article/tribune-pour-perpetuer-la-nupes-il-faut-la-faire-vivre

https://www.liberation.fr/idees-et-debats/tribunes/la-nupes-doit-faire-entrer-le-mouvement-social-au-parlement-20220624_RPPF4AMNX5AQ5HCSMSRX5GUEJM/

https://www.liberation.fr/politique/elections/a-gauche-un-programme-partage-pour-la-nupes-20220519_GDTQJW5RMVGKLFBKNE63EI6WVE/

NUPES et éducation (populaire)

https://blogs.mediapart.fr/les-invites-de-mediapart/blog/230822/creons-lecole-de-la-nupes-2

https://blogs.mediapart.fr/marcuss/blog/290822/lecole-de-la-nupes-et-leducation-populaire

https://blogs.mediapart.fr/marcuss/blog/220721/la-culture-est-tout-ce-qui-nous-permet-de-resister-la-domination

https://blogs.mediapart.fr/pauldu44300/blog/040120/appel-faire-de-la-pedagogie-en-dehors-de-lentre-soi-militant

http://ep.cfsasbl.be/IMG/pdf/etude2014_en_ligne_.pdf

Généralités politiques

https://www.mediapart.fr/journal/france/300822/gauche-quatre-nuances-de-nupes //Et Mediapart continue à faire de l’analyse politicienne à partir des vieux partis sans vision politique et sans prendre en compte le pays réel.

https://blogs.mediapart.fr/romain-jehanin/blog/290822/cherir-perenniser-et-elargir-la-nupes-pour-permettre-lalternance-0

https://blogs.mediapart.fr/gilles-kujawski/blog/310822/revoila-les-sociaux-mediocrates //Billet médiocre et anachronique qui ressasse les vieilles lunes gauchistes qui nous ont bloquées dans l’impasse.

Contribution (François Ruffin).

https://www.lemediatv.fr/emissions/2022/diviseur-ou-lanceur-dalerte-francois-ruffin-se-defend-et-argumente-szAbQKR9Qm2S55ElBzH28A //Entretien avec François Ruffin sur nos tâches dans la période.

Les organes cités.

La Monthly Review.

https://monthlyreview.org/

Le Media.

https://www.lemediatv.fr/

Copinage.

http://michaelkoppy.com/ //Mon ami Michael Koppy joue et chante la plus belle version que je connaisse de « We shall overcome ». Je ne connais pas de copie audible sur Internet. Son album « Ashmores’s store » vaut le coup.