DOMINIC77

Un peu de tout

Month: novembre 2015

Ridicule, dérisoire, effrayé

Jeudi, six jours après.

Rien ne m’obligeait à quitter le cocon douillet de ma maison de Seine et Marne mais rien n’aurait pu me faire rester enfermé. Au lieu de partir comme dimanche vers l’est marcher une quinzaine de kilomètres comme à mon habitude j’ai résolument mis le cap vers Paris sous le vague prétexte de faire quelques achats pas vraiment indispensables que j’opère habituellement en ligne. Sans même y réfléchir je  me suis trouvé deux boutiques à visiter: la première au début de la rue Alexandre Dumas, l’autre à proximité de République. Si vous n’êtes pas familier de l’est parisien jetez donc un coup d’œil à la carte : les deux extrémités du parcours des assassins du 13 novembre.

Pourquoi donc suis-je venu ainsi reprendre possession de cette ville que je n’ai jamais sentie mienne même aux lointaines années d’études quand j’y habitais ? J’y ai connu de grands moments mais n’ai jamais partagé l’émotion quasi mystique qu’elle inspire parfois. A vrai dire je n’ai jamais ressenti Paris comme une ville, une entité unique dotée d’une forte personnalité mais comme le collage de villages si différents. Il fallait pourtant revenir parcourir ces boulevards, ces avenues, ces rues que ces abrutis m’ont volés. Dans le bus vers République mon voisin me surprend à prendre soudain une photo du trottoir en face. Nous passons devant le Bataclan. Dans le métro qui me ramène au sud un moment de peur irrépressible, irraisonné me fait changer de place quand ce jeune homme lit une page en arabe sur son téléphone. Ils auraient donc vraiment laissé un sillon dans nos têtes ces lâches partis se réfugier dans le grand rien pour ne pas se faire suffoquer dans l’épaisseur du mépris que je voudrais  leur dégueuler dessus. Il faudra encore venir et arpenter ces rues pour ne plus avoir peur, ne plus se dire en passant devant le Comptoir Voltaire : « tiens pourquoi tout n’est-il pas pulvérisé là-dedans ? ». La semaine dernière on m’aurait dit que j’aimais cette ville j’aurais sans doute souris poliment. Ce soir je me souviens des enfants bruns qui sortaient de l’école boulevard Voltaire.

Retour vers le passé

Surpris au réveil ce samedi matin avant de reprendre la route pour notre domicile francilien nous avons passé la journée suspendus aux nouvelles débitées par l’autoradio. Sans pouvoir décider ce qui l’emportait de la désolation ou de la rage  nous conduisions sans parler. Prendre le temps avant de pouvoir penser une réaction au  spectacle projeté de l’horreur ou  exprimer une  réaction aux stupidités entendues à longueur d’antenne.

Le  lendemain la stupéfaction n’a pas cessé  d’entendre les chaines de télévision nous sortir les mêmes absurdités qu’en janvier sur les merveilleuses expressions de solidarité internationale sans que personne ne s’étonne des creux, des absences. Comme si dans notre frénétique désir de nous conforter  nous ne pouvions  compter ceux qui manquent à l’appel. Comment ne pas voir que cette  belle solidarité ne s’exprime que dans notre zone culturelle -celle  que l’on pourrait dire occidentale, au sens politique du terme- soit l’ensemble anglo-judéo-latin. Je n’ai pas vu le Kremlin en bleu-blanc-rouge ni aucune marque dans toute la zone afro-asiatique. Quelle est d’ailleurs l’intensité de nos réactions aux massacres africains de Boko Haram ? Même la Russie et ses satellites dont les racines chrétiennes nous rapprochent parfois en cas de crise se sont montrés bien discrets. En gros plus de la moitié du monde, l’espace animiste, musulman, bouddhiste, hindouiste, slave et orthodoxe n’a pas marqué de solidarité au-delà du minimum syndical obligé par les convenances politiciennes.

Cela devrait nous interroger au lieu de nous laisser aller à l’habituelle auto-célébration de notre bien vieille position de centre du monde. Serait-ce l’indifférence, la distance voire la sympathie pour la cause des « terroristes » chez tous ces gens ? Après tout pour beaucoup de ces populations nous avons dans le passé fait partie des colonisateurs. Je me souviens que lors des attentats de Bali  je n’avais pu m’empêcher de penser révoltante la situation de colonisation touristique de cet endroit par la jeunesse dorée australienne ciblée par des tueurs aussi imbéciles que ceux de Paris. La peur du risque de céder aux sirènes du choc des civilisations de Samuel Huttington ne doit pas nous empêcher de réfléchir à ce qui est en jeu dans l’affrontement avec des groupes plus ou moins formels rassemblés par une idéologie religieuse. Questionner nos frères musulmans et aussi tous les croyants du monde sur la possibilité de vivre ensemble s’impose plus que jamais. La seule cohabitation possible entre des religions qui prétendent toutes à la vérité ultime consiste peut-être à développer la métaphore émise par Théodore Monod : tous gravissent la même montagne par des voies différentes et se retrouveront au sommet.  Je ne me sens pas participant de ce débat qui concerne ceux qui ont besoin de nommer « Dieu » le grand mystère du monde.

La cécité qui interdit au plus grand nombre de voir ceux que les attentats ne révoltent pas assez pour manifester ostensiblement une solidarité visible cache un autre danger. En Janvier le profil anti-religieux des victimes à Charlie-Hebdo, tragiquement justifié par les « crevures » du 13 Novembre, avait encouragé des franges de la population française à se désolidariser de la réaction majoritaire de la communauté en refusant « d’être Charlie ». En Novembre la sidération provoquée par la violence de l’action  oblige ceux qui souhaiteraient exprimer leur différence à se taire. Que nous n’entendions pas de voix discordantes ne signifie pas qu’elles n’existent pas, seulement qu’elles nous sont inaudibles ou qu’elles se taisent dans l’instant. La stratégie de l’état islamique passe dans un premier temps par le choc que nous cause l’intensité et la violence des attaques mais se poursuit au-delà. Il me semble probable qu’il cherche, en particulier dans le cas de la France qui compte une population musulmane importante et globalement défavorisée économiquement, à préparer cette population à l’une ou l’autre forme de révolte. Notre propre rage envers  les abrutis à la kalachnikov constituerait le premier opérateur de cette révolte si elle se tournait vers ceux que nous voyons comme les musulmans de France. Comment sortir de ce piège infernal ?

Face à ce besoin de reconstruction de la cohésion du pays qu’a annoncé François Hollande ?

Le hasard a fait que la voiture a de nouveau été le terrain où j’ai écouté, consterné, le discours de ce président pour qui j’ai voté.  Entre la prolongation de l’état d’urgence destiné à devenir la norme et les modifications constitutionnelles nous voilà repartis vers un passé que j’allais oublier, celui de la création de l’état fort gaullien. Encore plus de pouvoir discrétionnaire pour l’exécutif.  Où sont passés les chantres de la sixième république ?

Pourquoi ne pas nous interroger sur notre passé colonial, sur les politiques des « deux poids, deux mesures » au Proche-Orient, sur l’effet dévastateur de nos politiques conciliantes envers les régimes corrompus, dictatoriaux et incapables d’Égypte ou d’Arabie Saoudite, sur l’absence de solution politique après la destruction de l’Irak, sur la question kurde, sur la cohabitation entre sunnites et chiites ? En bref sur les réponses politiques ?

Irrésistiblement cette pensée de Pascal étudiée au lycée est remontée de plus de cinquante ans dans le passé : « Et ainsi, ne pouvant faire que ce qui est juste fût fort, on a fait que ce qui est fort fût juste. » Des flics et des bombes, voici la solution universelle pour tous les problèmes.

Nous construisons des barrières défensives, nous enfermons dans nos ghettos, semons des bombes qui engendrent la légitime révolte causée par les dégâts collatéraux et persistons à vendre des Rafales à Al Sissi. Comment nous étonner que la moitié du monde se dresse un jour contre nous ? Les enfants de nos propres banlieues les premiers ?

Et ajoutons la cerise sur la gâteau : le droit de tirer à vue pour les uniformes.

Enfin quelques bonnes ombres pour ne pas s’endormir trop  mal. Cette nouvelle montée en épingle par quelques sites technologiques m’a fait sourire, un peu. Le groupe de hackers connu sous le nom d’ Anonymous a annoncé son engagement contre l’état islamique. Il aurait invalidé plusieurs milliers de compte Twitter jihadistes dès le premier jour de campagne. J’attends avec impatience et curiosité la réaction des autorités bien-pensantes devant l’appui de cet allié inattendu. Pour terminer la réaction indignée entrevue à la télévision d’un économiste orthodoxe contre l’idée de l’entorse à la rigueur austéritaire au nom des dépenses de sécurité. Il ne faut pas bouder les petits plaisirs.

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