Qui a dit « Je n’ai jamais cru au port généralisé des armes à feu »?

En 1938, devant le Congrès, Karl Frederick, ancien champion olympique de tir devenu avocat et … président de la National Rifle Association. L’organisation qui est aujourd’hui en tête du combat contre la réglementation de la possession des armes à feu vient de loin et n’a pas toujours été le repaire d’une bande d’extrémistes.

Comme je le pressentais depuis la tuerie de Las Vegas la question des armes à feu aux États-Unis d’Amérique a changé de tonalité. Le tableau complet mérite un examen détaillé qui mérite d’être découpé en plusieurs billets. Nous avons tendance à parler de manière binaire de la NRA et sans mettre en perspective son histoire et son insertion dans l’évolution de la politique et des opinions et nous nous interdisons par là de comprendre les enjeux.

Les origines.

On peut trouver sur Alternet un excellent article, clair et concis sur l’histoire méconnue de cette organisation créée après la guerre de Sécession dont il est utile de rappeler qu’elle est nommée Guerre Civile en version originale. Les deux vétérans nordistes de la guerre voulaient compenser le handicap de pratique des armes à feu du nord  plus urbanisé par rapport aux états plus ruraux du sud. Si la mission de l’organisation a dès le début pris pour cadre le Second Amendement celui-ci n’était pas compris comme il l’est aujourd’hui après le recentrage de 2008 par la Cour Suprême des États-Unis d’Amérique qui a consacré sa lecture comme le principe du droit des individus à l’armement personnel. Il s’agissait du droit à l’organisation armée collective des citoyens contre un état oppresseur (sous-entendu quelque chose comme la Couronne britannique). Pour certains cette manière de voir est simplement révisionniste mais elle aujourd’hui la loi.

L’activité principale des premières décennies de la vie de la NRA a consisté à organiser des clubs de tir permettant la pratique et la formation.

Les années 1920 et l »évolution vers le groupe de pression et les lois de contrôle des armes.

Plusieurs décennies durant la question des armes n’a pas fait polémique. On peut rappeler que la plupart des villes de l’Ouest sauvage des westerns imposaient en fait le dépôt des armes chez le shériff lors de l’entrée en ville. L’assassinat de personnalités politiques (au premier plan Lincoln) renforçait l’accord sur la nécessité d’une régulation civilisatrice.

Au début du vingtième siècle les dirigeants de la NRA participent à l’élaboration de lois fédérale sur le contrôle des armes à feu. Le type même de lois que l’organisation actuelle voue aux gémonies.

L’année 1920 est celle du début de la Prohibition qui déclenche la montée du banditisme associé initialement au commerce clandestin de l’alcool. Cette époque nous est connue par les romans et les films. Elle marque aussi l’irruption des armes automatiques dans la rue avec le massacre de la Saint-Valentin en tête d’affiche. La NRA a donc pris l’initiative de proposer des lois  obligeant à demander un permis pour posséder une arme à feu et punissant de prison les contrevenants. Et même plus : déclarer les vendeurs et imposer un délai entre l’achat et la livraison, des mesures qui sont pour la NRA d’aujourd’hui attentatoires aux liberté élémentaires.

La régulation passait aussi par des taxes importantes destinées à dissuader autant que possible. Ces mesures ont été confirmées unanimement par la Cour Suprême en 1939.

Dans ce cadre Franklin Roosevelt a d’ailleurs intégré le contrôle des armes à feu dans le « New Deal » avec le soutien de la NRA. Cet accord a produit deux lois : en 1934 le National Firearms Act et en 1938 le Guns Control Act (remplacé aujourd’hui par le Guns Control Act de 1968). Le contrôle fédéral est confié à un service du Trésor qui sera progressivement autonomisé pour devenir en 1968 l’ATF (Alcohol, Tobacco and Firearms) toujours au sein de l’administration fiscale. Après le 11 Septembre 2001 le service sera transféré au ministère de l’Intérieur (Department of Homeland Security) en 2002 et le terme Explosifs ajouté à la liste des missions.

Les années 1960, les Droits Civiques et le « coup d’état » de l’extrême-droite.

Le grand tournant dans l’évolution de la NRA se produit au cours des années 1960. Les années de luttes poiur les Droits Civiques laissent des traces. Malgré l’agitation provoquée par la lutte et même l’assassinat de John Kennedy la législation sur les armes ne change pas dans la première moitié de la décennie. Les assassinats de Martin Luther King et de Robert Kennedy semblent avoir joué un plus grand rôle. Les législateurs blancs ont été particulièrement sensibles à la position des Black Panthers qui revendiquaient le droits au port d’armes à feu pour la défense de la communauté noire. Ainsi Ronald Reagan alors gouverneur de Californie pensait qu’il n’y avait pas de raison pour qu’un citoyen se promène dans les rues avec une arme chargée.

En 1968 les contrôles ont été confirmés par une nouvelle loi, le Guns Control Act, qui reprend les règles de l’époque du New Deal. Les thèmes de cette loi sont encore  présents dans le débat actuel : âge minimum légal, santé mentale, interdiction aux repris de justice et aux drogués, traçage des armes par les numéros de série. La NRA a pu bloquer les mesures les plus fortes : registres national et permis fédéral obligatoire. Cette attitude montre une évolution dans la pensée de l’organisation.

L’année 1976, bicentenaire de la guerre d’indépendance, a été le cadre du changement dramatique qui transforme la NRA en groupe de pression extrémiste. L’exacerbation des tensions, entre autres raciales, dans le pays s’est reflété au sein de l’organisation. La création en 1975 d’un groupe de pression spécialisé dans l’intervention législative, l’Institute for Legislative Action, est déterminante. Cet institut est dirigé par un ancien de la Border Patrol, Harlon Carter.  Ce Harlon Carter est connu indirectement de ceux qui comme moi pensent que le grand disque rock de 2016 est l’American Band de Drive-By Truckers. La première chanson de l’opus, écrite et chantée par Mike Cooley, est titrée Ramon Casiano.  Cet adolescent mexicain a été assassiné par Carter qui a été plus tard acquitté pour légitime défense. La position éminente acquise par Carter lui permet dans les années qui suivent d’organiser un coup d’état pour prendre le poste de directeur exécutif de la NRA. L’organisation a depuis cette structure bicéphale. Un président qui assure la façade de représentation publique et un directeur exécutif qui dirige effectivement les opérations et donne le ton militant. Ce poste est occupé actuellement par Wayne LaPierre où il est secondé par la porte-parole Dana Loesch, une jeune femme. Sous la direction du libertarien Carter la NRA prend le visage qu’elle a encore aujourd’hui. et commence à participer au financement des campagnes électorales en même temps qu’elle mène une campagne idéologique autour du Second Amendement. Cette campagne sera couronnée de succès avec l’arrêt de la Cour Suprême fédérale qui valide et fait entrer dans la loi le principe du droit sans réel contrôle de chaque citoyen à posséder des armes. Cet arrêt de 2008 restreint considérablement les possibilités légales de réforme dans le sens d’un contrôle accru étant donné la bigoterie constitutionnelle du pays. Même si l’opinion évolue dans le sens du contrôle revenir sur cet arrêt demandera des années d’évolution des esprits puiqu’une décision de la Cour a force de loi.

La NRA vecteur de l’argent en politique.

Devenu un des premiers groupes de pression la NRA a naturellement fait passer l’argent de ses sponsors naturels les fabricants d’armes vers les candidats aux élections. Assez naturellement elle s’est tournée prioritairement vers les candidats Républicains par affinité idéologique mais aussi par contrainte géographique. Ainsi en 2012 88 % des candidats Républicains et 11 % des candidats Démocrates ont reçu de l’argent de la NRA. Les Démocrates sont en général des candidats de territoires ruraux où il est difficile d »être élu contre le lobby des armes à feu.

L’intervention de l’organisation ne se limite pas  aux élections. Elle tente d’occuper le maximum de terrain social. Elle a par exemple un accord avec les « Boy scouts of America » pour organiser des formations au tir chez les jeunes. Elle propose aussi des assistances pour sécuriser différentes zones comme les écoles.

Avec la libération de la circulation de l’argent dans le système politique par l’arrêt de la Cour Suprême Citizens United Versus FEC en 2010 au nom de la liberté d’expression (on ne ricane pas là-bas au fond) la NRA peut profiter de tous les financements à sa portée. Mais l’industrie de l’armement individuel ne se prote pas très bien. Des regroupements, voire des faillites ou le retrait de certains fonds de pension (en général de retraités de la fonction publique)  de l’actionnariat des fabricants d’armes assombrissent le paysage. Il n’est donc pas étonnant que d’autres pistes aient été recherchées.

La NRA et la filière russe.

Est-ce un hasard si l’actualité nous offre un des plus intéressants court-circuits du moment? Quand tout le pays se pose des questions dur l’ingérence russe dans l’élection de 2016 et la mise en cause fondamentale de la démocratie la piste russe se révèle remonter à plusieurs années dans le passé de la NRA.

Le site d’information sur le débat autour des armes à feu The Trace a ainsi remonté la piste russe.

En 2011 le président de la NRA est présenté à Alexander Torshin, sénateur proche de Poutine en vue de la création d’une sorte de NRA russe nommées Bear Arms par Marina Butina.

Les relations entre  les deux parties ne vont pas cesser. En 2013 Torshin est inquiété par les autorités espagnoles pour blanchiement d’argent mais cela ne l’empêche pas de devenir vice-gouverneur de la banque centrale de Russie en 2014. Les voyages et rencontres bilatérales se multiplient. Torshin et Butina participent à un banquet de donateurs de la NRA.

En 2016 Paul Erikson, vétéran Républicain et membre de la NRA, échange des emails avec un responsable de la campagne de Donald Trump à propos d’un « premier contact » avec Torshin.

En Janvier 2018 le site McClatchy  révèle que l’enquête du FBI  s’intéresse aux efforts de Torshin d’injecter de l’argent dans la NRA pour faciliter l’élection de Donald Trump.

En Février, Ron Wyden, sénateur Démocrate de l’Oregon demande au ministre des finances, Steve Mnuchin, de faire la lumière sur les liens financiers entre la NRA et la Russie.

Du groupe de pression citoyen à la corruption financière.

Le parcours de la NRA examiné avec un peu de recul montre un visage inattendu. Une organisation qui nait dans le désordre consécutif à une guerre civile meurtrière mais surtout dévastatrice pour le sentiment national se transforme au gré des soubresauts politiques et sociaux en machine de guerre de l’extrême-droite et instrument de canalisation de l’argent parfois douteux vers la politique.

Il ne faut pas perdre de vue par ailleurs que la NRA ne représente pas la majorité des possesseurs d’armes à feu du pays ni que ces armes sont inégalement réparties.

Mais la NRA incarne comme d’autres organisations non seulement les tares du système (l’argent roi, les inégalités,…) la profonde déchirure entre les groupes qui font le pays.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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