Jeudi, six jours après.

Rien ne m’obligeait à quitter le cocon douillet de ma maison de Seine et Marne mais rien n’aurait pu me faire rester enfermé. Au lieu de partir comme dimanche vers l’est marcher une quinzaine de kilomètres comme à mon habitude j’ai résolument mis le cap vers Paris sous le vague prétexte de faire quelques achats pas vraiment indispensables que j’opère habituellement en ligne. Sans même y réfléchir je  me suis trouvé deux boutiques à visiter: la première au début de la rue Alexandre Dumas, l’autre à proximité de République. Si vous n’êtes pas familier de l’est parisien jetez donc un coup d’œil à la carte : les deux extrémités du parcours des assassins du 13 novembre.

Pourquoi donc suis-je venu ainsi reprendre possession de cette ville que je n’ai jamais sentie mienne même aux lointaines années d’études quand j’y habitais ? J’y ai connu de grands moments mais n’ai jamais partagé l’émotion quasi mystique qu’elle inspire parfois. A vrai dire je n’ai jamais ressenti Paris comme une ville, une entité unique dotée d’une forte personnalité mais comme le collage de villages si différents. Il fallait pourtant revenir parcourir ces boulevards, ces avenues, ces rues que ces abrutis m’ont volés. Dans le bus vers République mon voisin me surprend à prendre soudain une photo du trottoir en face. Nous passons devant le Bataclan. Dans le métro qui me ramène au sud un moment de peur irrépressible, irraisonné me fait changer de place quand ce jeune homme lit une page en arabe sur son téléphone. Ils auraient donc vraiment laissé un sillon dans nos têtes ces lâches partis se réfugier dans le grand rien pour ne pas se faire suffoquer dans l’épaisseur du mépris que je voudrais  leur dégueuler dessus. Il faudra encore venir et arpenter ces rues pour ne plus avoir peur, ne plus se dire en passant devant le Comptoir Voltaire : « tiens pourquoi tout n’est-il pas pulvérisé là-dedans ? ». La semaine dernière on m’aurait dit que j’aimais cette ville j’aurais sans doute souris poliment. Ce soir je me souviens des enfants bruns qui sortaient de l’école boulevard Voltaire.