La presse française, en particulier les médias publiques (aux ordres?), ne parlent que de la déloyauté commerciale des alliés. Le problème est évidemment ailleurs. La présentation du contrat est en général orientée, à vrai dire malhonnête.

Après une semaine saturée de Belmondo par-ci Belmondo par-là bine au-delà de l’écœurement sommes-nous entrés dans la semaine des sous-marins?

Je ne regarde et n’écoute guère que des médias audiovisuels publics même si je lis et écoute d’autres supports plus comestibles. Depuis l’annonce de l’accord tripartite AUKUS (Australia, United Kingdom, United States) entre l’Australie, le Royaume-Uni et les Etats-Unis d’Amérique que j’ai d’abord appris par The Guardian je suis époustouflé par la couverture de la presse française.

Suivant fidèlement, y compris dans la chronologie, les déclaration du caniche Le Drian elle ne parle que du contrat des sous-marins dont la dénonciation, évidemment déloyale, priverait les pauvres travailleurs du Cotentin d’une promesse d’avenir radieux chèrement acquise par l’immense François Hollande allé chercher ce « contrat du siècle » avec toutes ses tripes patriotiques et bien entendu son amour du peuple (avec des dents).

Essayons de revenir en arrière et ne pas nous laisser illusionner par des mensonges et des approximations opportunistes et partisanes.

La vérité des chiffres.

Le montant du contrat envisagé lors de la signature initiale se montait à environ 31 milliards d’euros. Sur cette somme seulement 8 milliards revenaient aux parties françaises. Le plus gros devait aller à Lockheed Martin qui devait fournir le système de combat. Par ailleurs il était acquis que les sous-marins seraient construits en Australie et que 60 % de la valeur devait lui revenir. La répartition des emplois évoquée était de 2800 en Australie et 500 en France. Quelques temps plus tard le patron de Naval Group parlait de 4000 emplois en France « mais pas à temps plein ». Comprenne qui pourra.

Si ce contrat semble bien avoir été le plus gros jamais conclu par l’industrie française de l’armement la présentation qui en faite ces jours-ci relève au moins d’une vue partielle et partiale.

Un contrat qui avait du plomb dans l’aile.

Déjà en Juin de cette année les rumeurs de difficulté de bonne réalisation du contrat courraient dans les médias. Les dates de livraison des premiers éléments glissaient de 2030 à 2032 et le montant global dépassait maintenant les 50 milliards d’euros. On ne peut donc faire comme si de rien n’était dans le meilleur des mondes.

Avant les contrats commerciaux un réalignement stratégique majeur.

Si les médias français privilégient la rupture d’un contrat présenté sous des aspects bien flatteurs pour l’hubris national ils oublient ou au moins font passer au second plan le plus important. L’achat des sous-marins par l’Australie ne représente qu’une retombée secondaire du nouvel accord stratégique, militaire et géopolitique entre nations anglophones. Chacun des trois dirigeants, Biden, Morrisson et Johnson a ses propres raisons de politique intérieure comme extérieure de faire le choix d’une réorientation des alliances.

L’australien montre au monde et à son opinion publique qu’il faut maintenant compter avec lui. Dans ces circonstances la menace chinoise qui pèse de plus en plus lourd aura servi à la montée en puissance de cette île-continent. Le principal parti d’opposition, les Travaillistes, a depuis des années opté pour la même politique militariste. La protestation anti-nucléaire avait pourtant été une force militante importante de la gauche australienne des années 1970-1980 et avait réussi à limiter l’importance de l’industrie et des mines d’uranium.

Boris Johnson tire les conséquences du Brexit et s’ancre paradoxalement dans l’Océan Pacifique pour jouer dans la cour des grands. Il a compris que ses ex-partenaires de l’Union Européenne ne pouvaient rien contre ce mouvement qui souligne une leurs grandes faiblesses : la diversité culturelle et linguistique, l’hétérogénéité de leurs systèmes politiques et le caractère factice de leur union jamais réellement sanctionnée par une adhésion populaire pan-européenne.

Le partenaire nord-américain, affaibli par la montée en puissance de la Chine, une présidence Trump calamiteuse et un retrait catastrophique d’Afghanistan peut se targuer d’avoir reconstruit une alliance homogène, nouvelle image d’un impérialisme occidental en déconfiture et réduit à la défensive.

Un accroc aux accords de non-prolifération nucléaire.

Coincée entre le grand voisin australien et la Chine la Nouvelle-Zélande a rappelé son ancienne politique de préservation de ses espaces terrestre, aérien et maritime de la pollution nucléaire. Voilà qui souligne que le passage de la flotte sous-marine australienne à la propulsion nucléaire est possible en jouant sur les mots des traités de non-prolifération. Il existe plusieurs traités pour certains signés par L’Australie et d’autres non.

Le développement rapide de la marine militaire chinoise et les déclarations agressive des dirigeants à propos de Taiwan ont fait monter la tension régionale autour d’une Chine désireuse de mettre son statut de grande puissance militaire au même niveau que celui de sa puissance économique.

Le pacte AUKUS peut donc avoir la signification à la fois d’une montée des dangers militaires dans la zone indo-pacifique comme à terme un effet de rééquilibrage plutôt modérateur.

Un effet en retour sur la zone Eurasienne?

La gifle infligée par Boris Johnson aux européens pourrait avoir des conséquences inattendues. Le Brexit enfin définitivement acté les états européens, membres ou pas de l’Union Européenne vont se trouver devant des choix d’alliance remis en chantier.

Les gesticulations en cours autour de la nécessaire militarisation commune de l’Union Européenne cachent d’autres nécessaires débats sur l’ensemble des alliances continentales.

La Russie elle-même devra choisir entre devenir un partenaire junior du géant chinois ou participer à l’émergence d’un nouveau pôle.

Serions-nous à l’aube d’un nouvel ordre mondial?