L’annonce du remplacement du juge Anthony Kennedy à la Cour Suprême par Donald Trump a été soigneusement médiatiquement organisée. Quelques heures avant  la Maison-Blanche a invité via Tweeter à assister à l’annonce solennelle trois sénateurs Démocrates  en campagne pour leur ré-élection dans des états Républicains. Si quelqu’un doutait que la date de la démission de Kennedy s’insérait dans le calendrier électoral…

Le président a donc annoncé son choix : Brett Kavanaugh.

Sans doute le moins polémique au sein du Grand Old Party Kavanaugh ne représente pas l’électeur trumpien typique du Midwest post-industriel. Il est né et a grandi dans les quartiers chics de la capitale fédérale avant de faire des études à la Yale Law School. Il sera le sixième catholique sur les neufs juges de la Cour. Une des étoiles montantes du Parti républicain il présente un profil plus politique que juridique. Lors de la confirmation de sa nomination précédente un sénateur Démocrate l’a surnommé « Le Forrest Gump de la politique Républicaine ».  Sa carrière de juriste est entièrement liée à la politique. Assistant de Kenneth Starr, le procureur qui a enquêté sur les affaires immobilières et autres des  Clinton il a même rédigé une partie du rapport. Membre actif de la « Federalist Society » qui a préparé les listes de juges à nommer pour Donald Trump il s’est distingué récemment en refusant le droit d’avorter à une immigrante mineure. Trump a donc fait le choix d’un profil politique relativement consensuel dans son parti. D’autres choix plus spectaculaire, comme celui d’Amy Barrett, étaient possibles mais plus polémiques. Le principal sujet de polémique soulevé par la démission de Kennedy tourne autour de l’abrogation de la décision Roe V. Wade de 1973 qui avait autorisé l’avortement au plan fédéral. Sur ce sujet Kavanaugh s’est montré moins virulent que d’autres membres de la liste des pressentis.

Si le basculement définitif de la Cour Suprême à droite était un enjeu en soi la conjoncture électorale a joué un rôle important. Les Démocrates sont maintenant devant un choix sans bonne solution. Leur base les pousse à s’opposer de toutes leurs forces à la confirmation de Kavanauh lors des audiences au Sénat. La Cour est en congé. Rien n’obligeait Kennedy à annoncer si vite sa démission ni Donald Trump a choisir rapidement un successeur ni Mitch Connell à programmer ainsi le vote de confirmation avant les élections.

Les Républicains disposent au Sénat d’une majorité de 51 contre 49 mais John MacCain, en traitement pour son cancer du cerveau, n’a pas remis les pieds à Washington depuis le début de l’année. La voix prépondérante du vice-président leur permet de palier cette absence mais ils ne peuvent se permettre une défection. La bataille pour s’opposer à la confrontation est cependant perdue d’avance pour les Démocrates. Le problème pourrait bien venir de leurs propres rangs. Les trois sénateurs Démocrates Joe Donnelly, Joe Manchin et Heidi Heitkamp ont déjà voté pour confirmer Neil Gorsuch, le précédent juge proposé par Donald Trump l’année dernière alors qu’ils n’étaient pas sous pression électorale. Les espoirs de refus de la confirmation reposent donc paradoxalement sur deux sénatrices Républicaines : Susan Collins et Lisa Murkowski. Les deux seules sénatrices de leur parti à soutenir plus ou moins les droits des femmes à choisir leurs grossesses. Collins s’est montré dans le passé la plus résolue à ce sujet mais a déjà indiqué ces derniers jours qu’elles se conformerait sans doute à la discipline de son parti. Les convictions de Murkowski semblent moins fermes et son état de l’Alaska a déjà reçu des avantages fiscaux divers lors de débats antérieurs.

Mais le piège politique va encore plus loin. La perspective de regagner la majorité à la Chambre des Représentants motive les Démocrates poussés par une base très mobilisée, comme l’est celle des Républicains. S’engager dans une bataille de procédure, qui plus est perdue d’avance, au Sénat présente un gros risque de paraitre éloigné des problèmes réels des électeurs. L’état-major Démocrate se trouve donc devant ce dilemme : soit déserter sans combattre la bataille de la Cour Suprême, soit apparaitre comme une bande d’apparatchiks politiciens loin du peuple. Bien joué Trump.