En tête du petit opuscule récemment publié par mon ami François  en prolongement de son livre « Eldorado »  il place une remarque à laquelle je n’avais pas songé. S’interrogeant comme toute notre génération de vieux combattants qui avaient plus ou moins vingt ans en Mai (1968) sur les gilets jaunes il voit dans le mouvement actuel la célébration et l’enterrement de Mai68. On peut comprendre ou interpréter cela de multiples manières . La plus facile sans doute consiste à considérer qu’un cycle se clôt définitivement et que deux générations plus tard nous sommes entrés dans un nouveau monde. Que faire comprendre les élans de notre jeunesse à nos petits enfants est devenu une gageure impossible à tenir. Rien d’étonnant à ce que l’inquiétude qui sourd à travers ces pages concerne notre capacité à vivre ensemble de manière civilisée.

Hier Libération a convoqué en couverture Edgar Morin et Alain Touraine. La réunion de deux nonagénaires icônes de la pensée de gauche, pouvait-elle éclairer ce mouvement que nous, les vieux, avons tant de mal à appréhender?

Depuis « La rumeur d’Orléans » et mes années d’Université j’avais perdu de vue Edgar Morin et ne suis revenu à lui que tardivement. J’ai regetté de n’avoir pas suivi de plus près l’homme de la pensée complexe. A posteriori une des voix les plus pertinentes dans la recherche d’une posture que l’on pourrait appeler scientifique dans les sciences humaines où la méthode et la rigueur l’emporte sur les convictions brutes. Mais en plus du respect épistémologique la permanence de la présence humaine dans son travail m’a contraint à une affection pour le bonhomme.

A la différence d’Alain Touraine qui reste pour moi drapé dans son manteau de hiérarque socialiste. Il y a une quinzaine d’années cherchant des réponses à la question « Qu’est-ce que la démocratie? » j’ai lu son ouvrage éponyme.  J’ai bien plus trouvé un précis historique : les aventures du libéralisme et du républicanisme. La catastrophique expérience de l’Union Européenne et les gilets jaunes m’auront bien plus appris.

Les dérives autoritaires, qu’elles soient d’extrême-droite (Italie, États-Unis d’Amérique) ou néolibérale (France,  États-Unis d’Amérique-doublon volontaire)  complètent le tableau. La crise que nous traversons, ou qui nous traverse, est bien globale et civilisationnelle. Elle nous présente l’occasion de mettre en question de vieilles certitudes pour revenir à d’humbles tâches comme la reconstruction d’un « nous ».