La campagne des primaires de l’élection présidentielle aux États-Unis d’Amérique connait une accalmie avant l’ultime sprint du début Juin et les derniers états poids lourds du New Jersey et de la Californie. Ce temps est propice aux concertations, manœuvres diverses destinées à costumer les reniements en actes de bravoure,  ou  à préparer un avenir encore incertain. Les deux camps doivent résoudre de lourds problèmes si possible avant la tenue des conventions. Les Républicains tentent de reconstruire une unité au moins de façade afin d’éviter une convention visiblement conflictuelle de perdre trop de sièges à la Chambre et surtout au Sénat. Les Démocrates gèrent la menace du retour du scandale des mails d’Hillary Clinton qui risque de revenir au plus mauvais moment, juste après la nomination, et la fracture qui menace de priver la candidate d’une partie importante et indispensable des voix des partisans de Bernie Sanders. Le choix du poste de vice-président sur le ticket présente les mêmes risques de mauvais choix pour les deux camps tant l’équilibre semble difficile à trouver.

Voici donc l’occasion de faire un détour par un sujet polémique soulevé par Donald Trump et déjà quasi oublié tant les événements se précipitent : le mur de la frontière sud avec le Mexique. La frontière est longue d’environ 3200 kilomètres dont environ 1000 sont déjà barrés par une barrière militarisée plus ou moins efficace.

Le prix et la possibilité du mur.

La bataille de chiffres qui s’est déchaînée après les annonces de Trump est maintenant calmée. L’accord s’est réalisé sur une estimation de coût autour de 12 milliards de dollars. Le financement proposé par le candidat putatif des républicains a beaucoup fait sourire, voire plus.  Il veut prendre en otage les immigrés mexicains sur le sol fédéral en les empêchant d’envoyer de l’argent à leurs familles au pays. Le Mexique reçoit autour de 24 milliards de dollars par an de l’étranger dont la plus grande part vient du nord de la frontière. Outre l’impossibilité pratique et légale de mettre en pratique cette méthode elle fait peser sur l’économie mexicaine un risque qui pourrait se révéler mortel pour toute la zone tant l’ensemble nord-américain est imbriqué.

La réalité du mur et des frontières.

Si la frontière sud concentre tous les fantasmes et toutes les peurs, ce qui ne nous étonne pas,  elle n’est pas seule. La totalité du pourtour du territoire est soumis à une législation particulière connue sous le nom de « règle des 100 miles« . Cette règle, comme très souvent dans le pays soumise à des variantes locales, permet aux autorités et en particulier à la police des frontières, la « Custom and Border Protection », et sa « Border Patrol » de ne pas se soumettre au droit commun. Cela ne passe pas toujours inaperçu. La répartition massive de la population aux limites du pays, en particulier les deux côtes et la zone des grands lacs, a pour conséquence que la majorité de la population vit dans les territoires soumis à la règle des 100 miles. De plus l’évolution des lois depuis le 11 Septembre a ouvert la possibilité au Secrétaire à la sécurité intérieure, le patron du « DHS, Department of Homeland Security » de déroger à un grand nombre de lois de protection des citoyens ou de l’environnement en cas de besoins dont il est seul juge. Ce personnage, non élu, est d’ailleurs le quatrième dans l’ordre de succession présidentielle après le vice-président, le « speaker » de la Chambre des Représentants et le président du Sénat. Cette possibilité à la discrétion d’un haut fonctionnaire auprès du président des États-Unis d’Amérique a effectivement été  mise en œuvre à plusieurs reprises, en particulier dans des états frontaliers du Mexique.

Ce mur vient après bien d’autres dans l’Histoire. Chacun ayant ses caractéristiques propres. La grande muraille de Chine a été conçue pour jouer un rôle de réel obstacle militaire qui empêche les envahisseurs d’avancer. Le mur d’Hadrien, à l’opposé, dans la logique romaine de conquête économique, juridique et culturelle, servait de régulateur des passages commerciaux et de point de perception des taxes. La différence d’ampleur architecturale des deux édifices parle d’elle-même. Le mur mexicain, ouvrage de notre siècle, fonctionne avec nos critères et nos méthodes. Plutôt que de dissuader les migrants de tenter l’aventure, nous constatons en Europe actuellement combien cela est illusoire, il les oriente vers des zones difficiles  sinon impossibles. Il devient ainsi un projet aussi absurde que criminel qui envoie à la mort nombre de gens. Ce nombre de morts varie suivant les sources tant il est difficile de tracer avec certitude une réalité que si peu de gens souhaitent affronter, celle des morts du désert, des rançonnés par les brigands de toutes sortes, des femmes en esclavage ou disparues.

Dessinons, chantons, dansons.

Il se trouve pourtant des gens pour s’y confronter, à la réalité du mur, des artistes. Je ne peux m’empêcher de me poser des questions devant des plasticiens faisant du beau avec une matière si tragique, moi qui n’ose pas photographier un être humain de peur de voler/violer son intimité. J’admire donc le courage de Richard Misrach, photographe et Guillermo Galindo, sculpteur/arrangeur pour avoir su prendre le sujet à pleines mains dans un travail à regarder, écouter et méditer. Le livre qui en résulte présente les photos de la frontière par  Misrach et les installations de Galindo construites avec les objets retrouvés sur le terrain, traces du passage de gens dont on ignore le destin.

D’autres, comme Ana Teresa Fernandez, du côté sud, ont décidé de passer à l’action, l’action d’effacer la frontière en peignant en bleu, couleur du ciel à l’horizon, le mur. La muraille ainsi symboliquement disparue ne laisse voir qu’un espace ouvert à tous.

Les deux projets si différents ont en commun de prendre à bras le corps la situation. Si Misrach montre la diversité de la réalité géographique des terrains Fernandez amène son groupe sur le lieux mêmes à exprimer dans une action pacifique la volonté de réunir les familles déchirées par le rideau de fer et de béton.

L’intensité dramatique de la pièce qui se joue ici en a inspiré d’autres. Vous dessiniez, j’en suis fort aise et bien chantez maintenant. En 2012 un groupe a collecté et enregistré des « chants de la frontière« .

Et si on dansait ?

Il y a déjà quelque temps qu’Ursula Le Guin a fait connaître la vidéo réalisée par sa fille Elizabeth en 2012 lors du « fandango fronterizo« . Tous les ans, de chaque côté de la frontière, à San Diego et Tijuana, on se réunit autour du mur pour danser et chanter la fraternité. J’ai de bien lointains souvenirs de la vue de Tijuana du haut la butte de Point Loma au nord de San Diego. A cette époque pas de mur, juste dans un coin de ma mémoire le souvenir de la trompette d’Herb Alpert et du « Tijuana sound ».