J’ai choisi ce titre un peu provocateur pour signifier que le temps de formuler des appréciations morales des candidats confortablement installé, derrière son écran est terminé et qu’il faut maintenant se confronter aux questions politiques concrètes.

Les primaires sont (presque, il reste le Dictrict of Columbia, la capitale qui ne changera rien et a un statut spécial) terminées. On va pouvoir passer aux questions politiques et à la construction politique de l’avenir.

Les partisans de Bernie Sanders vivront les résultats de la primaire Démocrate de Californie  comme une déception à rebours des derniers sondages qui voyaient les intentions de votes pour Clinton rester stables quand celles pour Sanders montaient et laissaient espérer une victoire. Les derniers sondages  s’équilibraient à 48% pour Clinton contre 46% pour Sanders. Les résultats définitifs seront plus près de 56% contre 43%, sans appel. L’analyse détaillée sera intéressante pour comprendre la dynamique politique des derniers jours. La comparaison des participations avec les primaires de Californie en 2008 et en 2012 mérite un coup d’œil.

Démocrates         Républicains

2008   5.066.992               2.932.812

2012   2.076.309              1.924.9670

2016   3.258.027              1.700.000

La chute de la participation entre 2008 et 2012 peut-être causée par la différence des enjeux (première candidature Obama) et le changemetn de date. La primaire de Californie se tenait en Février. Par contre la participation Républicaine chute entre 2012 et 2016 sans que l’on puisse dire si cela est du au fait que les jeux sont faits (Trump a gagné) ou que le trouble gagne l’électorat. J’espère que des analyses fines seront publiées, en particulier par catégories ethniques pour mesurer l’impact des événements récents. La mobilisation relative des électeurs Démocrate est importante mais il faut noter la majorité massive (75%) de Trump dans les votes Républicains.

La candidate Démocrate.

On savait déjà que la candidate démocrate serait Hillary Clinton et sauf à jouer explicitement la politique du pire et à faire fi des souffrances que la politique des Républicains fait endurer à la majorité de la population il n’existe pas le moins mauvaise possibilité. Une victoire de Bernie Sanders à l’élection générale relève de l’illusion.

Il ne pouvait pas gagner malgré l’image trompeuse que répandaient les sondages des dernières semaines. Peu exposé dans la campagne des primaires il se serait trouvé dans la campagne, au plus tard après la Convention à un tir de propagande d’une intensité jamais vue prenant comme cible son « socialisme » revendiqué. On aurait vu défiler les photos de sa lune de mien en Union Soviétique quelques mois avant la chute du mur de Berlin. Ses propositions de politique sociale et leurs conséquences fiscales auraient occupé le reste du débat. Aucune chance. D’autant qu’il est en concurrence directe avec Trump sur le cœur de l’électorat de celui-ci. Incidemment il aurait facilité le rassemblement du camp républicain contre lui mais ceci peut-être un bien au bout du compte.

Une fois élu un président Sanders aurait été pieds et poings liés dans la Maison Blanche. Un Congrès hostile qui a rodé contre Barack Obama toutes les armes de l’obstruction parlementaire aurait mené une bataille de tous les instants. Au mieux il aurait si les Démocrates reprennent le Sénat en Novembre réussit à nommer un neuvième juge progressiste à la Cour Suprême, ce qui n’est pas négligeable. Les deux premières années du mandat passées à piétiner les élections de 2018 se présentaient mal et les choses empiraient. Le plus grand trésor de cette campagne historique, « l’armée de Bernie », le mouvement que personne n’attendait, sombrait dans la désespérance et les querelles internes.

Reste à faire au mieux avec Hillary Clinton. Rien n’est gagné d’avance mais « l’armée de Bernie » reste mobilisable, sa jeunesse en fait un outil dynamique et de long terme.

Drumpf.

Les  attaques racistes des derniers jours  contre le juge Gonzalo Curiel, en charge de l’affaire de la « Trump University » par Donald Trump commencent à produire des résultats mais ne provoquent pas de défections massives. Quelques caciques Républicains ont manifesté leur désaccord sans renier leur soutien. Par exemple Paul Ryan, obligé d’aller à Canossa la semaine dernière et de se soumettre a du opérer une jolie contorsion  et admettre que si les propos de son candidat correspondent à la pure définition du mot « racisme » ils ne justifient pas de lui retirer son soutien. Le plus spectaculaire est venu de Californie. La loi y définit une primaire non-partisane  pour l’élection au Sénat qui correspond à nos premiers tours; Elles sert à sélectionner les deux candidats qui concourreront en Novembre. Résultat les deux candidates Démocrates dont Kamala Harris soutenue par Bernie Sanders sont arrivées en tête et ont donc éliminés les Républicains de la compétition. Cela ne change pas l’équilibre car le siège à renouveler est détenue par la Démocrate Barbara Boxer. Cela peut changer la tonalité politique car Kamala Harris qui réussit le tour de force d’appartenir à deux minorités, mère indienne et père jamaïcain, est la représentante typique de la nouvelle gauche Déémocrate alors que Barbara Boxer représente bien l’appareil du parti.

Après avoir insisté dans ses attaques racistes Trump a fini par sortir un discours quasiment politiquement correct hier. Pour la première fois on l’a vu réciter un texte lu sur un prompteur. Cela signifie-t-il qu’il a entendu raison et que les spin-doctors du Parti Républicain seront désormais derrière lui pour veiller à empêcher toute sortie de route ? On peu en douter mais surtout cela ne résout pas leur équation infernale : comment conserver le bénéfice de la colère canalisée et catalysée par Trump sans perdre ailleurs, chez les hispaniques, les femmes et la classe moyenne supérieure éduquée ? Autre signe que la campagne est politiquent reprise en main, Trump a annoncé pour lundi  (13 Juin) un discours important sur les Clinton. Il va « tout dire ».

La situation parait donc encore instable du côté Républicain. Une défection qui pourrait en annoncer d’autres sur le même modèle. Le sénateur Mark Kirk a retiré son soutien à Trump. L’explication se trouve dans le difficile réélection qu’il affronte dans l’Illinois. D’autre pourraient se trouver dans la même situation et préférer sauver leur peau que soutenir un candidat douteux, à la victoire incertaine et dévastatrice pour leur parti. Des seconds couteaux Républicains viennent de créer un groupe « Republicans for Hillary » mais ceci est classique dans ce genre d’élection. La prise de position de Newt Gingrich contre Trump est plus intrigante. Il passe pour très proche de Sheldon Adelson, quinzième fortune du pays au classement Forbes  et financier  habituel de la droite. Le financement de la campagne est maintenant une question d’actualité. Le ralliement de Paul Ryan avait semblé indiquer une possibilité de rapprochement des frères Koch avec le Parti Républicain. Les dérapages de Trump la fragilise. Deux ou trois milliardaires ne financent pas seuls ni même principalement une campagne mais leur participation fluidifie et encourage fortement le flux d’argent. Comme l’a indiqué John Oliver dans la fameuse émission  du 28 Février Trump ne finance pas vraiment sa campagne, il lui prête de l’argent en attendant de le récupérer à la fin.

Les candidats en lice.

Sous réserve de surprise, mise en accusation de Clinton pour l’affaire des e-mails (assez improbable), coup de Trafalgar chez les Républicains on connait les quatre candidats qui s’affronteront en Novembre.

  • Drumpf. On connait le candidat Républicain, imprévisible, ses propositions illusoires (construire le Mur et le faire payer au Mexique). Je reste sceptique sur sa capacité à mener une campagne d’élection après sa prestation aux primaires. Il devra partager la directtion des opérations avec l’appareil républicain et les sources de financement de sa campagne qu’il est incapable de payer lui-même évidemment. Au plus sa fortune se monte à moins de 4 milliards de dollars. Une campagne coûte tout compris pas loin de la moitié. Il n’est pas homme à dilapider ses biens dans une telle aventure. Il est d’ailleurs douteux que sa fortune soit assez liquide pour être mobilisée aussi rapidement. Il a mis le Parti Républicain et lui-même dans une tenaille politique ingérable dans un temps prolongé au-delà de l’enthousiasme spontané. Il devra choisir entre maintenir les outrances ou se rallier à des propositions conservatrices plus classiques. Dans tous les cas il perd une fraction de son électorat. Sans compter les désillusions s’il était élu mais ceci est une autre histoire de chaos assez peu sympathique à envisager.
  • Hillary Clinton. Elle est là. La presse, même de gauche  et favorable à Bernie Sanders célèbre le moment « historique » de l’accession d’une femme à la candidature. Il faudra plus que cela pour gagner de manière convaincante. Sans accorder plus d’importance que nécessaire aux sondages à cette distance de l’élection et avant toute campagne on peut noter que certains sont inquiétants. Par exemple celui-ci montre que dans la Floride, état charnière où la victoire serait bienvenue sinon nécessaire, Trump est passé en tête. On connait les positions de Clinton, éminemment désagréables sur biens des points comme le Moyen-Orient comme on le voit ici dans un débat avec Sanders commenté par Noam Chomsky. On connait aussi son passé, ses relations avec les grandes entreprises et la finance. Les épisodes montés en épingle par ses opposants, l’affaire des e-mails ou la Lybie relèvent de la politique politicienne et des erreurs ou maladresses de  comportement qui me dérangent moins. Sur les questions internationales elle peut être sensible à une forme de pression sans que l’on attende de modifications fondamentales. Sur les questions sociales elle sera plus ouverte et même plus. L’économie est également un sujet de préoccupation, d’autant qu’elle a annoncé avoir l’intention de faire jouer un rôle important à son mari. Ce dernier point relève plus de la propagande électorale que d’autre chose pour profiter du souvenir de la relative prospérité des années Clinton (Bill). Face à un Trump qui va mettre en avant le retour (illusoire) des emplois partis au Mexique après l’accord de libre-échange Nord-Américain dont Bill est si fier il n’est pas dit que cela soit très bien vu. La question du programme, celle de l’appareil du parti et celle de la vice-présidence laissent ouvert un terrain de négociation publiquement visible. Une partie du programme se discute déjà dans le comité désigné par les candidats et la direction du parti. La vice-présidence ne répond pas qu’à des besoins d’équilibre politique. La présidence Obama a démontré dans la pratique l’utilité d’un vice-président actif, dans l’ombre souvent, et en cohérence avec son patron. (La présidence Georges W. Bush a aussi démontré que le vrai patron n’est pas toujours celui qui est au premier plan). Le maintien en place de Debbie Wasserman Schultz sera un indicateur du point d’équilibre atteint. La patronne en titre du parti est symboliquement et pratiquement liée à l’industrie de la finance comme le prouve son activité parlementaire. La réalité des compromis est toujours une question de rapport de forces et de terrain.
  • Gary Johnson. Le candidat du parti libertarien est crédité pas les sondages de 10% environ des suffrages. Il peut assurer la défaite de Trump car c’est çà droite qu’il prendra l’essentiel de ses électeurs. Je considère depuis longtemps le Parti Libertarien  comme la forme la plus moderne de l’extrême droite et j’en ai peur mais Johnson est un type parfois quasiment drôle.
  • Jill Stein. La candidate du Parti Vert part avec un handicap. La faiblesse des ressources militantes et financière ne lui permettra pas de concourir dans tous les états (21 assurés à ce jour). La faiblesse politique des Verts, leur péché mortel aux yeux de la gauche est la responsabilité qu’on leur a conféré d’avoir causé la défaite d’Al Gore en 2000 du fait de la candidature de Ralph Nader. Jill Stein dont c’est la seconde candidature est crédité de plus de 2% des intentions de votes soit plus du double des scores de son prédécesseur malgré la concurrence effrénée de la campagne de Bernie Sanders qui a raflé les thèmes écologistes et sociaux  qui forment la base du programme « Green ». Avant la primaire de Californie le parti a annoncé avoir perdu au moins 30% de ses membres dans cette bagarre.

Et maintenant Bernie ?

Évidemment la question qui hante depuis quelques semaines toute la presse de gauche aux États-Unis d’Amérique et singulièrement depuis de matin est celle de la suite de la campagne de Bernie Sanders. Selon leur sensibilité, ou leur pusillanimité  les commentateurs oscillent depuis des jours entre « Bravo, va jusqu’au bout » et « Tu es fou, il est temps d’arrêter our ne pas tout gâcher ». A la réflexion et après avoir lu un peu tous les avis je pense que la marge de choix est étroite. Il faut prendre en compte les désillusions, les amertumes que peut laisser une campagne de près d’une année qui a mobilisé des millions de volontaires, fait surgir des forces insoupçonnées d’auto-organisation (la campagne a semble-t-il été assez peu directive et a laissé les organes locaux s’organiser et prendre des initiatives), prouvé la possibilité de financer une campagne efficace mêmes dans les conditions actuelles de pourrissement de la vie politique par l’argent.

Des tentations existent de fuite en avant plus ou moins romantiquement irresponsables : une candidature indépendante, rallier la candidature du Parti Vert et lui apporter une organisation militante qui lui manque. Sans doute tout cela doit-il beaucoup à des journalistes prêts à apporter à l’actualité  le concours de leur l’imagination. Ce serait ignorer que comme le dit cet article de « The Nation »  si Clinton a gagné la nomination Sanders a gagné le débat des idées. Dans un contexte que beaucoup voient comme le glissement global à gauche de la pensée d’un pays où « socialiste » n’est plus un insulte, où un système d’assurance maladie universelle fait partie du possible, où on peut annuler un projet d’oléoduc géant qui convoie du pétrole de schiste, où même la question du droit des armes redevient discutable il n’est plus certain que les élections se gagnent au centre. Cela n’empêche pas, au contraire, que le pays soit profondément divisé, qu’une population laborieuse blanche qui se sent abandonnée ne soit prête à presque tout.

Dans l’immédiat la question sur la table est double.

  1. Doit-on stopper Trump et mettre toutes les forces nécessaires en route pour cela ?
  2. Quelle est la meilleure voie pour améliorer la vie des gens dans le pays à terme ?

Les deux questions impliquent une même direction de réponse : travailler à la victoire de Clinton et des candidats Démocrates en Novembre. Le système électoral aussi tordu et dispersé dans les états qu’il soit offre la possibilité par les primaires locales, dont une bonne partie n’a pas encore eu lieu de présenter des candidats progressistes contre les candidats de l’appareil du parti; C’est ainsi que Sanders soutient officiellement Tim Canova contre Debbie Wasserman Schultz comme candidate à la Chambre des Représentants en Floride. Les réunions programmées par les partisans de Sanders corrélativement à la Convention Démocrate à Philadelphie en Juillet peuvent constituer le début de consolidation d’un mouvement qui n’a pas besoin de structures importantes. En fait ces structures existent déjà. La campagne de Bernie Sanders s’est appuyé sur elles à l’occasion.

Par exemple :

  • Occupy Democrat. Inspirés à la fois du mouvement Occupy et de la manièr edons le Tea Party a colonisé le Parti Républicain ce groupe cherche à faire élire le maximum de parlementaires Démocrates progressistes sans avoir recours au financement des lobbys et des grandes entreprises.
  • Brand New Congress. Un groupe tout récent de déçus du peu de résultats concrets de la présidence Obama qui veut permettre la mise n e place du programme de Bernie (« to enact Bernie’s program« ). avec l’objectif de renouveler tout le Congrès dès les élections de 2018 (ce qui est impossible au vu du calendrier électoral mais explicite une volonté). La focalisation sur les élections de mi-mandat de 2018 est importante. Elles sont toujours moins mobilisatrices et un peu négligées. Cette organisation basée sur les réseaux sociaux a les limites de ses moyens.
  • The Working Families Party Organisation à mi-chemin entre un parti politique et une organisation de masse elle est active sur la côte Est  principalement et en particulier dans l’état de New-York où elle a servi de relais à la campagne de primaire de Bernie Sanders. Elle est également présente en Oregon, état notoirement progressiste. Elle a été fondée en 1998 à New-York et entretient des liens avec le mouvement syndical et les organisations communautaires locales.
  • Peoples Summit est née d’une alliance récente entre le syndicat des infirmières, fidèle soutien précoce de Bernie et le groupe People for Bernie. qui est lui-même un rassemblement de groupes de soutien de la candidature. Peoples Summit tient un grand rassemblement, à la fois célébration et sorte de congrès fondateur si je comprends bien à Chicago du 17 au 19 Juin. Jetez donc un coup d’œil à l’ impressionnante liste des partenaires.

Le jeu semble donc clair : tenir les deux branches. Participer à la Convention Démocrate pour commencer à engranger les premiers bénéfices de l’extraordinaire travail accompli et lui donner des perspectives politiques électorales d’un côté. Mais ceci n’aura de sens et ne pourra porter des fruits et durer que si par ailleurs le travail sur le terrain continue de manière autonome.

Bon courage les gars et les filles.