Le shutdown

L’épisode de la mise en chômage budgétaire du gouvernement des États-Unis d’Amérique n’aura donc guère duré plus qu’une fin de semaine. L’opinion générale, surtout dans les médias de gauche (iciici et ,  enregistre la séquence comme une capitulation des Démocrates. Capitulation orchestrée par Chuck Schumer, le leader Démocrate du Sénat, qui apparaît comme le grand perdant de l’opération dont il a voulu porter publiquement la direction. Se faire traiter de plus mauvais négociateur que Donald Trump n’est pas vraiment flatteur. Schumer ne pourra pas se faire pardonner sa plus grande faute : avoir proposé comme outil de marchandage à Donald Trump d’accepter de voter le financement du Mur de la frontière mexicaine. Les plus centristes (désolé, les plus à droite) des médias comme Mother Jones semblent même un peu embarrassés et se contentent de répercuter les protestations des groupes militants.

Les faits ont été rapportés par Mathieu Magnaudeix.

L’accord porte sur une prolongation temporaire du financement des administrations  jusqu’au 8 Février. Le risque d’un autre psychodrame, ou d’une vraie crise politique, n’est donc que reporté. Au passage les Démocrates ont la petite satisfaction d’avoir inscrit dans la loi le financement du programme d’assurance santé pour les enfants (CHIP) pour une durée de six ans mais personne n’y était vraiment opposé, d’autant plus que toutes les études montrent que c’est l’option la plus économique pour le budget fédéral. L’élément déterminant dont  se sert Schumer  pour justifier sa position est la promesse de son collègue Mitch McConnell, le leader Républicain de tenir un débat et un vote sur la question principale, celle des enfants d’immigrants dont le sort a été mis en balance par la décision de Donald Trump de suspendre la procédure de l’administration Obama (DACA*) qui leur permet d’étudier, de travailler et d’être naturalisés. L’accord de principe sur une solution de clémence semblait acquis jusqu’à ce que Donald Trump revienne sur ses positions antérieures lors de l’incroyable cirque mécanique il y a quelques jours. La direction des Démocrates a donc choisi de faire confiance à la parole d’un McDonnell pourtant coutumier des promesses non-tenues.

Cette apparente défaite des Démocrates pourrait bien être en fin de compte qu’un trompe-l’œil accentué par les rodomontades d’un Trump qui prépare son discours d’auto-célébration à Davos et ne peut imaginer qu’un piège se cache derrière une évidente victoire.

Le site FiveThirtyEight retient trois enseignements de l’épisode :

  • Les Démocrates évoluent vers un durcissement à gauche de leurs positions,
  • Les Républicains sont profondément divisés,
  • Les lignes de fractures autour des questions de race et d’immigration s’approfondissent.

Les Démocrates.

La primaire pour l’élection présidentielle de 2020 est visiblement lancée. A vrai dire elle l’est depuis la défaite de Clinton en 2016. L’irruption d’Oprah Winfrey il y a deux semaines n’était qu’une diversion bienvenue pour faire twitter Trump. La première à se lancer a été Kamala Harris avec son intervention à la marche des Femmes de Janvier 2017 à Washington. Elle a continué dans son rôle de Sénatrice avec une attitude pugnace lors des auditions sénatoriales. Comme les autres postulant dont aucun ne s’est déclaré à ce jour elle donne des indications de glissement à gauche (soutien de la proposition de Bernie Sanders sur l’assurance-santé) destinées à la base la plus active du parti. Il sera toujours temps de négocier plus tard des propositions dites réalistes. Fille d’une indienne tamoule et d’un noir jamaïcain elle présente le profil parfait pour la candidature.  Al Franken ayant été éliminé de la course pour cause harcèlement sexuel la voie est libre pour le renouvellement. les femmes et les noirs bénéficiant d’un avantage. Kirsten Gillibrand, sénatrice de New-York pas vraiment connue pour ses positions avancées s’est refait une image progressiste en surfant sur la vague post-Weinstein. Cory Booker, sénateur du New-Jersey ne manque pas une occasion de prendre  la parole mais il est bien difficile de passer après un aussi élégant félin que Barack Obama. La course est loin d’être terminée mais ceux qui prendront trop de retard risquent de le payer cher à l’arrivée. Le glissement global à gauche de la rhétorique Démocrate n’est guère contestable mais les acteurs qui tendent à occuper le devant de la scène restent malgré tout d’authentiques « centristes » qui semblent plutôt faire là montre d’opportunisme à plus d’un an du début de la campagne. Bernie Sanders reste l’homme politique le plus populaire du pays mais son âge lui interdit pratiquement de paraître comme un candidat crédible pour 2020.

Le « shutdown » a fait ressurgir les divisions internes du camp Démocrate.Cela est-il un handicap sérieux.? Cela dépendra d’abord de la suite. Le pari qui porte sur l’incapacité de Mitch McConnell à tenir la promesse qu’il a faite devant un parterre de Sénateurs pourrait bien être gagnant à tous les coups. Soit il ne tient pas sa promesse, se ridiculise et montre son camp comme une bande de menteurs racistes, soit il la tient et il fait éclater au grand jour les divisions et le racisme endémique des Républicains. Pour des Démocrates condamnés à jouer la carte communautaire (identity politics) aux prochaines élections les deux possibilités devraient être bénéficiaires.

Si les Démocrates ont cherché à négocier des propositions bi-partisanes avec des Républicains modérés ils ont par contre failli sur un point capital : ils n’ont pas avancé de proposition propre capable de montrer un choix marquant à l’opinion. Leur division peut les en avoir empêché et les avoir contraints à se contenter du théâtre parlementaire. Le décalage entre l’establishment Démocrate et la base militante pouvait difficilement apparaître plus clairement.

Les Démocrates sont condamnés à une attitude ferme dans les prochaines semaines pouvant aller jusqu’à provoquer un nouveau « shutdown ». Mais une première échéance donnera le ton. Dès son retour de Davos  (30/1/2018) Donald Trump doit prononcer son premier discours sur l’état de l’Union. Obligation constitutionnelle largement diffusée ce discours doit annoncer les objectifs législatifs de l’année. Il se doit d’y apparaître en leader qui réussit et qui  rassemble. Une campagne déterminée d’ici là pourrait-elle avoir un effet ?

Les Républicains.

Aux handicaps intrinsèques de la présidence Trump s’ajoutent de réelles divergences politiques internes même si elles se sont en partie estompées à la fin de l’année 2017 avec le vote de la réforme fiscale. Sur la question spécifiquement en jeu ces derniers jours, celle de l’immigration, la Maison-Blanche n’est pas très homogène. Il est clair que les plus hostiles à l’immigration, Stephen Miller et John Kelly, trouvent une oreille présidentielle bien disposée à les écouter. Mais leur plus gros problème est la division au sein des troupes parlementaires, avec un Sénat globalement plus modéré et une Chambre des Représentants clairement fracturée qui pourrait à l’avenir avoir besoin de voix Démocrates pour faire voter des  propositions de loi.
John Kelly passait jusqu’à présent pour être l’élément stabilisateur essentiel de la Maison-Blanche, celui qui a la confiance du président. Il a eu l’imprudence la semaine dernière de dire, en accord du reste  avec des déclarations récentes de son patron que les propos de campagne sur le Mur avaient été mal informés. Il n’es fallait pas plus pour se faire remettre en place. Et en parallèle quelques fuites laissaient entendre qu’Ivanka  chercherait un remplaçant à celui que l’on présente toujours comme le « vrai président ».

Donald Trump continue à jouer seul. Après la décision des Démocrates de voter la fin du « shutdown » il a reçu successivement des parlementaires Républicains parmi lesquels les plus acharnés comme Tom Cotton puis deux Sénateurs Démocrates soigneusement sélectionnés : Joe Manchin, sans doute le plus à droite et Doug Jones récemment élu dans un des états les plus racistes. La popularité de Donald Trump dans les sondages montrent des signes contradictoires. Après un plus bas à la mi-Décembre l’approbation du président remontait de manière continue. Mais l’observation des sondages de Rasmussen, réputé l’institut le plus favorable à Trump montre lui une tendance à la dégradation depuis deux semaines

La division de l’opinion, le racisme.

L’épisode nous révèle quelque chose de plus important et de plus grave qui n’est pas une surprise : la persistance  du racisme dans la société et le rôle qu’il joue en politique. Après des mois de débats contradictoires l’anniversaire de la prise de fonction de Donald Trump a été l’occasion de la publication de plusieurs articles qui reviennent sur les raisons de son élections. Un facteur commun se retrouve à peu près partout, le racisme a joué un rôle essentiel. Cent cinquante ans après la guerre dite de Sécession et soixante ans après la lutte des Droits Civiques la plaie suppure encore et s’est même envenimée avec la pression démographique ressentie par la population blanche et la monte des migrations internationales.

Le durcissement des positions sur la race et l’immigration va conforter la politique communautaire du Parti Démocrate aux dépens d’une orientation plus sociale et économique. Les politiciens vont voir dans l’alliance du parti avec les groupes de pression communautaire la plus facile voie vers le succès électoral.

 

Et pour nous rappeler que l’immigration divise le pays et que l’on déporte depuis des décennies :

https://www.youtube.com/watch?v=Ay4AEpEynuc&feature=youtu.be                                   Springsteen
https://www.youtube.com/watch?v=flkuZJ1did8&feature=youtu.be                                        highwaymen la plus claire
https://www.youtube.com/watch?v=1ihgkZTEXgA                                                                  Evidemment Pete
https://www.youtube.com/watch?v=rx-7C760fwg&feature=youtu.be                                      Judy Collins
https://www.youtube.com/watch?v=tGD1qanImq4&feature=youtu.be                                    Jimmy LaFave, tu nous manques Jimmy.
https://www.youtube.com/watch?v=Oq4HBgF8y3A&feature=youtu.be                                  et même Nana Mouskouri
https://www.youtube.com/watch?v=fCCgtRy5vYE                                                                  et Ani.

* DACA (Deferred Action for Childhood Arrivals)  : Procédure de l’administration Obama qui permet à une population d’enfants d’immigrants de disposer d’un délai avant d’être soumise aux règles de l’immigration et de travailler ou étudier. Cette population (estimée à 700000 à 800000 personnes) est un sous-ensemble de celle qui est concernée par le DREAM Act (Development, Relief, and Education for Alien Minors Act) qui a été plusieurs fois discuté au Congrès mais jamais voté.