Après environ deux années de tumulte, une campagne électorale chaotique et une première année de mandat qui ne l’a pas moins été il est temps de faire l’effort de sortir des postures indignées et de la réaction systématique aux outrances de Donald Trump et de ses amis. Reprendre l’initiative implique de ne pas se cantonner à ces attitudes mais peut-être aussi devons nous tenter de comprendre le tableau qui se dessine devant nos yeux et comment il a pu se construire au fil du temps. L’étonnement devant le comportement de Trump comme président nous conduit a nous retourner vers le passé et à interroger les biographies de ses prédécesseurs dans l’espoir d’en tirer des enseignements comme le fait Karen Greenberg dans The Nation.
Un regard en arrière.
S’appuyant sur des ouvrages antérieurs à l’élection de 2016 (« The impossible presidency : the rise and fall of America’s highest office » par Jeremi Suri et « Presidential power and the modern president » par Richard Neustadt) elle nous invite à relire l’histoire de la fonction présidentielle telle que l’évolution du pays la modèle. Elle avance l’idée d’une lente ascension de la fonction qui culmine avec F.D. Roosevelt avant de dégringoler inexorablement depuis. Que le livre de Suri ait été écrit avant la prise de pouvoir de Donald Trump mais relève les signes avant-coureurs de la crise dans une extension des pouvoirs présidentiels qui déborde le cadre constitutionnel et même démocratique donne à penser.
La première inflexion date de l’élection d’Andrew Jackson, loué par Donald Trump pour d’obscures raisons, le dernier président issu de la génération de l’Indépendance (il n’a que 13 ans au moment du Congrès de Paris mais sa famille a activement participé à la guerre). La population a considérablement augmentée sous l’effet principalement de l’immigration venue d’Europe. L’économie du pays s’est structurée. Jackson donne l’impulsion décisive à la fonction présidentielle en fondant sa légitimité sur le rapport au peuple et l’élection et rompt avec le système antérieur dans lequel elle venait plutôt des textes fondateurs. Il ouvre ainsi l’ère de la « démocratie présidentielle » (à la différence d’une « démocratie avec un président ») dans laquelle le choix ne se fait plus à partir de la cooptation entre les notables de la Nouvelle Angleterre. Jackson a d’ailleurs exprimé son hostilité au Collège Électoral et même au cumul des mandats dans le temps. Propriétaire d’esclaves il a promulgué le « Indian Removal Act » qui institue le parcage des amérindiens dans les réserves et officialise en fait le génocide. Après sa présidence il a soutenu le vol du territoire du Texas. Il l’avait préparé en reconnaissant la sécession de la République du Texas du Mexique fomentée par des colons esclavagistes le dernier jour de son mandat de président. L’émancipation de la couronne britannique acquise la nation se construit par la politique intérieure et l’affirmation du pouvoir présidentiel.
Lincoln, encore une fois statufié récemment par Spielberg, poursuivra en transformant le drame de la guerre civile, la Guerre de Sécession, en renaissance nationale. Sanctifié par son assassinat Lincoln est ensuite consacré comme un nouveau père d’un pays indéfiniment orphelin par le mémorial de Washington et sa statue monumentale.
L’ascension finale se fait finalement d’un Roosevelt à l’autre. Theodore, spécialiste de la Marine et ancien participant à la guerre de Cuba, ramène la dimension internationale dans l’exercice présidentiel, suivi par Woodrow Wilson avec la première guerre mondiale. Mais c’est Franklin Roosevelt qui définitivement fait entrer une réflexion globale, mondiale et économique à la Maison Blanche. Alliant la sortie de la crise économique et sociale des années 1930 à la direction politique du monde occidental cette présidence construit l’image que nous connaissons. Mais la complexité technologique du monde, la taille du pays et de sa population ont pour résultat un appareil tentaculaire, en compétition avec ceux des états. La tâche devient alors, selon Suri, insupportable pour un seul homme. Quoi qu’on pense de cette analyse on constate que les successeurs vont gérer la charge chacun avec leurs limites. Truman assure la transition, Eisenhower arbitre pour assurer l’après seconde guerre mondiale. Kennedy tente de retrouver la grandeur par l’hyper-activité et Johnson sombre sous le poids des responsabilités. Quand vient le tour de Reagan il tente de tenir l’image présidentielle en simplifiant la fonction. Et la dégringolade continue avec les suivants dont les Bush.
L’avènement de Donald Trump pourrait donc être une évolution annoncée par la dégradation d’une institution qui a perdu sa force et sa légitimité dans l’esprit des citoyens électeurs. Le défi réel que poserait alors le symptôme Trump ne serait pas son remplacement personnel mais la refondation de la fonction présidentielle et de l’ensemble du système de gouvernement.
L’avènement de Donald Trump.
L’arrivée du Donald a été amenée aussi par des évolutions sociales et économiques des décennies précédentes.
Les réformes de Reagan et le triomphe du néolibéralisme ont préparé l’élection de 2016, facilitée par l’absence de projet alternatif. Même Barack Obama dont l’élégance racée nous a tous séduits n’est pas vraiment autre chose en économie qu’un néo-libéral « modéré ». Même l’Obamacare, système de compromis mis en œuvre dans son état par Mitt Romney quand il était gouverneur, n’est pas une solution intrinsèquement progressiste quels que soient ses avantages car elle ne fait que limiter les dégâts sociaux et ouvre grand la porte aux profits privés sur le dos de la population laborieuse.
La médiatisation croissante de la vie publique parachevée par l’Internet a changé les règles des campagnes politiques sans que les anciens politiciens n’aient encore pris la mesure des changements. Il ne suffit plus d’être télégénique mais il est maintenant nécessaire d’être un bateleur accompli, qui parle à l’émotion avant l’intelligence.
Au total la campagne électorale de Donald Trump s’est déroulée sur quatre phases. L’annonce de la candidature a eu lieu en Juin 2015 mais son positionnement politique, la première phase, s’est étalé sur près d’une décennie. Parti d’une position supposée plus ou moins Démocrate vu sa relation mondaine avec les Clintons et une bonne partie de la bonne société libérale de New-York d’une part et ses positions non-conformistes en matière de mœurs d’autre part il révèle son fond de pensée profondément réactionnaire et même raciste avec l’affaire des « Cinq de Central Park » et la campagne sur le lieu de naissance de Barack Obama qui le positionne comme « nativiste en chef ». Il n’a donc pas de choix il ne peut venir en politique que sous l’étiquette Républicaine. Les récentes déclarations de Donald Junior avec les allusions à McCarthy et aux communistes montrent de plus que la culture politique de la famille est résolument ancrée très à droite.
Dès la déclaration de candidature le ton est donné. La campagne sera offensive, voire offensante, anti-immigrés, anti-élites, en deux mots populiste de droite. Trump déploie consciencieusement ses thèmes personnels dans cette phase qui précède les primaires. Elle lui a permis d’imposer les thèmes de la campagne, pas ceux qui allaient faire les grands débats mais ceux qui allaient faire la différence dans les franges critiques de l’électorat, les quelques pour cents qui emporteraient les états critiques de la Rust Belt. Imposant ses thèmes à des contradicteurs qui ne jouent pas ce jeu dont il impose les règles et qu’ils ne comprennent pas il les contraint à réagir au lieu de développer positivement leurs propres thèmes.
Et là le jeu change. Lors des élections présidentielles la campagne des primaires devient de plus en plus la réelle campagne électorale et dure plus longtemps (de Février à Juin et même aux Conventions de Juillet ou Août ). En 2016 du fait du nombre de candidats et de la volonté même de Donald Trump cette campagne des primaires Républicaines a été essentiellement un spectacle, un spectacle d’estrade diffusé sur les écrans. On se souvient des prestations de Trump qui élimine ses concurrents Républicains l’un après l’autre avec suffisamment de brio pour garder la main et être en mesure de choisir son vice-président et de gagner la Convention sans se laisser imposer quoi que ce soit par les instances du parti.
Conformément au scénario établi depuis des années la campagne officielle, entre les Conventions et le jour de l’élection, a été moins riche en événements que les phases précédentes. Les débats télévisés face-à-face ont montré un Donald Trump moins à l’aise dans l’exercice qu’il ne l’était dans le pugilat sans contrainte des débats des primaires qu’il dirigeait de fait. Hillary Clinton a ainsi pu paraître gagner ces débats pour ceux qui les ont évalués sur les seuls critères du débat d’idées et de l’argumentation. On sait maintenant que ce jeu-là n’était pas le bon, que l’élection ne s’est pas jouée sur la logique. Au bout du compte cette période a surtout été marquée par les interventions de James Comey qui ont pu avoir un effet sur le résultat (Kevin Drum de Mother Jones a mis en évidence un effet probable des deux interventions de Comey sur les sondages). La faiblesse politique de Clinton mariée au président qui a initié l’accord de libre-échange nord-américain et restait marquée par ses attaches avec la finance ne lui permettait pas de réunifier l’électorat Démocrate ni de retenir les électeurs attirés par le populiste de son adversaire.
La première année du président Donald Trump.
Le bilan de la première année de la présidence est connu. Donald Trump et les Républicains ont dépensés des mois a tenter d’abolir l’Obamacare en vain. L’enquête de Robert Mueller sur l’ingérence russe est venue obscurcir le paysage. Au fil des mois l’action du président a rejoint les thèmes classiques du Parti Républiain et Trump a largement renoncé à ses promesses de campagne. La fin de l’année a vu se finaliser complètement l’accord entre les deux avec le vote et la promulgation de la réforme fiscale. Trump a donc conquis le parti en s’alignant. En échange les Républicains protègent Trump des attaques des enquêteurs à propos des relations de la campagne de 2016 avec la Russie mais également des investigations sur la famille Trump et ses finances qui pourraient constituer le réel point faible.
La prédominance de la Maison-Blanche dans le système politique préserve à Trump un avantage. L’instabilité de l’ensemble reste forte du fait de l’imprévisibilité de Donald Trump mais aussi du poids des militaires faucons (Kelly, McMaster) dans son entourage. Ils sont les vrais maîtres de la politique étrangère et aggravent le risque de conflit en cas d’incident fortuit (Corée, Iran, Syrie).
Sauf événement de ce genre les élections de mi-mandat en Novembre seront le moment de vérité. Si le Parti Républicain paie dans les urnes le prix (comme le suggère Jeet Heer dans un article récent de The New Republic) pour avoir sauvé le soldat Trump l’ensemble de l’édifice pourrait s’écrouler.
A propos du mémorial de Lincoln, quelques images.
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